ïSite Prisonsð

"Q U A N D   L A   J U S T I C E   N O U S   C A S S E..."

Un ancien Aumônier des prisons témoigne...

(Editions Le Sarment - Fayard)

Extrait du Livre, paru en avril 2001, en France, Belgique et Suisse ; on peut le commander depuis toute librairie, mais il est directement en vente dans toutes les FNAC,  Librairies LA PROCURE,  Librairies SILOE,  Librairies de La Croisade du Livre Chrétien (C. L. C.)  etc...  Bonne Lecture !

  pour commander le livre en ligne : cliquez ici  

Dans quelque temps, depuis ce site, un lien vers le résumé d'une interview télévisée de l'auteur (dans l'émission "CONTRECHAMP" - 60 mn), que vous pourrez directement visionner et télécharger. Pour commander la K7 VIDEO de 60 minutes de l'interview (disponible au 1er janvier 2004), contactez-nous par email.

 INTERVENTIONS TV et RADIO du responsable de ce site : sur la chaîne ARTE (la "Cinq"), le mercredi 16 octobre 2002 à 20 h 15, avec sa famille, dans l'émission "Enfants de taulards"/ sur TF1 : le lundi 21 octobre 2002, , dans l'émission de Bernard Tapie "A tort ou à raison"... / RMC : 4 interviews de Radio-Réveil de 15 mn en septembre 2002, diffusés aussi sur 130 radios locales ( pour les écouter en audio, cliquez sur : http://www.paroles.ch/ECOUTER/RADIO/2002.htm ) / Radio Notre-Dame et Réseau RCF : mai 2002 / A Bordeaux, Radio Campus - La Clé des Ondes - O2 Radio / Radio Périgueux - Radio Plaisance : juin 2003 / Radio France Internationale RFI et Réseau Pacifica (USA) : interview  déc. 2003 / Fréquence Protestante Paris : janvier 2004 / Mai 2004 : 3 émissions TV réalisées en studio à Belfort / Interview AFP : 5 oct. 2004 - / A Strasbourg, intervenant dans le 2ème Congrès Européen de la Médecine en Milieu Pénitentiaire, novembre 2004 / Plateau TV  de 60 minutes et interview sur FR3 Alsace, le  samedi 6 novembre 2004, dans l'émission "7 jours en Alsace" sur le thème "La santé en prison" / Intervenant à la Journée Nationale des Prisons, à Nantes le 27.11.2004 sur le thème "Le sens de la peine" / 2 interviews sur Radio-Espérance (St-Etienne) le 30.11.2004 / Radio N.D. Paris + 59 radios dans 17 pays (Réseau Cofrac) : 31.05.2005. Etc... en 2006.


 

Ce récit autobiographique décrit peu à peu mon immersion lente dans le monde des prisons de France, en tant que détenu, visiteur, Aumônier.

Il dénonce aussi le très mauvais fonctionnement de la justice et le non-sens de beaucoup d’incarcérations.

Il n’est pas une exhibition de mon passé, ni une justification… Il est né du désir de m’exprimer... et du devoir de témoigner : beaucoup m’y ont poussé.

 Il me fallait aussi crier à plein gosier à tous ceux et celles qui traversent un cheminement judiciaire et pénitentiaire douloureux : « Tu peux te relever, même si tu te crois définitivement perdu, même si les hommes t’ont déjà rayé de la carte ! Tu as une valeur extraordinaire ! »

Si après avoir lu ce livre, vous arrivez à mieux supporter et accepter les traumatismes, les rejets que vous traversez, puis à vouloir en guérir, alors ma joie sera renforcée.

                                                                    Philippe AUZENET

 


     

Un sondage réalisé par la Sofres en 1997, sur le fonctionnement de la justice, en donnait une image accablante. d'autres sondages ont été réalisés depuis, les chiffres restent approximativement les mêmes.

78 % des français estimaient qu’elle ne remplit pas correctement son rôle,

66 % que ses jugements ne sont pas équitables ;

87 % qu’elle est vieillotte et difficile d’accès,

97 % qu’elle est trop lente,

77 % qu’elle est trop coûteuse.

 

Seulement 17 % lui font confiance...

 

Beaucoup ont l’impression d’une justice à plusieurs vitesses, bien trop lente et dépendante du pouvoir politique pour 82 % des gens.

« La justice est lente, chère, inaccessible, et ne traite pas les citoyens de façon égale. Quand le doute sur la justice s’installe, la société toute entière peu à peu se déchire, car la justice est un élément fondamental du pacte démocratique. (...) Devant une telle crise de confiance, une réforme profonde s’impose, une réforme globale et générale. »  

(Paroles de Madame Elisabeth GUIGOU, alors Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,  devant le Sénat, le 22 janvier 1998)

 


 

INCARCERATION

 

Jour terrifiant, car aujourd’hui, lundi 7 juillet, je me rends à la Maison d’Arrêt de Rennes. J’ai préparé mes affaires et les ai mises dans deux gros sacs. J’ai transmis toutes mes responsabilités familiales à mon épouse Joëlle. J’ai eu la chance de ne pas avoir été extrait de force de mon domicile par la police, enchaîné et mis dans un fourgon, pour être incarcéré. On m’a laissé la liberté de me présenter moi-même à la prison.

 

Aujourd’hui, j’ai le sentiment de partir pour un autre monde. Je ne doute pas de l’Amour de Dieu qui m’a toujours soutenu, mais je ne comprends pas le chemin qu’Il me fait prendre. J’ai peur. J’évite de réfléchir.

Je sue à grosses gouttes.

Dès le matin, j’ai embrassé chacun de mes six enfants, âgés de 9 à 17 ans, en les serrant très fort dans mes bras. Ils ont pleuré, pleuré, et même crié. Nous avons prié les uns pour les autres en nous tenant les mains. Je leur ai imposé les mains, en demandant à Dieu de se manifester comme père pendant mon absence. Soudain l’aîné a couru vers sa chambre en pleurant à chaudes larmes. Les autres ont fait de même.

Tout à coup,  j’ai découvert leur affection envers moi, leur attachement. Cet événement m’a marqué à vie. J’ai eu le sentiment d’assister à mon enterrement, mais en y étant moi-même présent….

Je les avais préparés à mon incarcération, puisque j’avais reçu le verdict de mon jugement un mois plus tôt. Considéré probablement comme non dangereux, on m’avait laissé choisir la date de mon emprisonnement, et c’est mon avocat qui a réglé la question de la date ainsi que celle du lieu d’incarcération, avec le procureur.

 

On ne pouvait pas m’incarcérer à la Maison d’Arrêt de la ville où j’habite, car je connaissais trop bien cet établissement pour y avoir oeuvré durant 14 années, en tant que visiteur puis aumônier. Alors le procureur a choisi la ville de Rennes.

Jamais, au grand jamais, je n’aurais pensé qu’un jour je vivrais l’expérience de vivre de l’autre côté des barreaux !

 

Il est 14 heures. Avec mon épouse Joëlle, nous nous rendons maintenant en voiture chez un ami pasteur, L., et son épouse Y., à Rennes, pour les derniers instants avant la séparation. Cet ami nous avait visité régulièrement, et nous avait beaucoup aidé à surmonter notre épreuve depuis son origine, en septembre 1994, lorsque des inspecteurs de police sonnèrent chez nous pour nous conduire au commissariat. La garde à vue de deux jours avait suivi, elle fut très traumatisante. Une garde à vue porte toujours une atteinte extrêmement dangereuse et brutale à la liberté individuelle.

 

Notre ami L. et son épouse ont prié pour nous en pleurant ; puis Joëlle a posé sa main sur mon épaule en disant ces quelques mots : « Seigneur, je te redonne le mari que tu m’as donné, prends en soin. ». Elle pleurait elle aussi…

 

Je l’embrassai une dernière fois devant la lourde porte de la maison d’arrêt.

A la main, j’ai ma carte d’identité, et ma convocation. Il est 15 heures. Je sonne à la porte.

 

DANS LES MURS

 

            Aussitôt, j’ai été placé dans une cellule d’attente d’un m², fermée par une grille. Cette cellule me rappelait celle de ma garde à vue. Je me suis assis sur la planche en bois. J’y suis resté une heure et demie, et j’étouffais. Je manquais d’air. Durant de longues minutes, je lus les graffitis. L’un d’eux retint toute mon attention : « Nous, on n’a pas peur, car Dieu est avec nous ». Ce fut le premier signe que Dieu m’envoyait pour m’encourager... alors je me suis mis à prier et à remercier Dieu pour Sa présence dans ces murs.

 

Au bout de 90 minutes interminables, on m’ouvrit la grille, et on me conduisit au greffe. D’un air sévère, le greffier me dit :

- « Le savez-vous, mais deux années, ça ne se fait pas comme ça, c’est long ? »

                                                                         

Je ne répondis rien. Je n’avais certes pas besoin de cette parole d’accueil glaciale... qui me fit l’effet d’une douche froide. Le greffier me demanda pourquoi je n’avais pas été incarcéré dans la maison d’arrêt de ma ville... j’ai contourné la réponse car j’ai estimé que cela ne le regardait pas. En prison, moins on en dit, mieux on se porte…

On prit mes empreintes digitales. Ensuite on me donna mon « numéro d’écrou ». Mon argent et ma carte d’identité me furent retirés.

 

Puis l’on me conduisit au « service de la fouille ». Là je fus prié de me mettre entièrement nu, et de m’accroupir afin que l’on m’inspecte totalement, puis de tousser, en position accroupie. (L’Observatoire International des Prisons signale qu’à la maison centrale d’Arles, à la sortie des parloirs, ces fouilles sont effectuées dans des boxes comportant un miroir d’un mètre carré, scellé au sol et sur lequel il est demandé au détenu de monter entièrement nu).

Mes affaires - qui étaient contenues dans deux sacs - furent méthodiquement fouillées et passées au détecteur de métaux. On me priva de mon flacon d’eau de toilette, de mon déodorant, de mon sac de sport, de divers papiers administratifs, et d’autres bricoles.

 

Parmi mes papiers, il y avait un CV.

- « Ce CV, surtout pas ! vous ne devez pas l’avoir ! ». On me le confisqua. Je ne répondis pas.

Mon épouse m’avait donné un beau poster représentant la mer.

- « Ici, c’est interdit, les posters ! » Et on me le retira.

 

Le plus précieux, je l’avais gardé : ma Bible et quelques livres de méditation.

Je reçus mon paquetage : deux couvertures, deux draps, une taie d’oreiller, un canif à bout rond (qui ne coupait absolument pas... ), une fourchette, une cuillère à soupe, un bol et diverses affaires de toilette.

 

Ensuite je fus conduit en « cellule d’arrivant », au « grand quartier ». Je me retrouvai seul. La cellule était fraîchement repeinte, et propre.

La maison d’arrêt est très vétuste, et dans les couloirs on se croit projeté un ou deux siècles en arrière, tellement  tout est sombre et oppressant. On se croirait dans une très vieille usine désaffectée. Tout résonne comme dans une cathédrale.

 

Durant cette première journée, aucune information sur mon incarcération ne me fut donnée. Pas de brochure pour m’expliquer les choses (je n’en ai d’ailleurs jamais reçue). Une carence d’informations qui allait se perpétuer durant plusieurs mois. Alors, pour m’informer, j’ai fait appel à « radio-coursives », c’est-à-dire aux autres détenus. Et par la suite je me suis aperçu que je recevais une tonne de faux  renseignements et de fausses rumeurs !

 

L’absence d’informations - mais aussi de considération - de la part du personnel dans les premières semaines, est ce qui m’a le plus fait souffrir.  Certes, le service social m’a transmis une feuille avec quelques indications, mais elles étaient totalement insuffisantes !

 

Les récidivistes connaissent bien la prison. Mais pour les autres, les « primaires », le milieu carcéral est d’abord un monde hermétiquement clos, où l’on se sent très seul. C’est une autre planète. Il serait bon d’informer plus correctement les arrivants...

 

Passé un délai de huit jours, j’ai provoqué un entretien personnel avec le chef de détention, en lui écrivant un courrier. Il n’avait pas demandé à me rencontrer, contrairement à l’usage qui veut que chaque détenu soit vu par lui après son arrivée. Dès que je suis entré dans son bureau, il m’a regardé droit dans les yeux. Il avait le look d’un ancien para.

- « Ah... Auzenet, mais oui, je connais ! ». J’ai préféré ne pas relever son propos. Moi, je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu. L’entretien fut très court,  je suis resté debout, il n’a presque rien dit, et c’était glacial. Quel accueil !

   

 

VALLEE DES LARMES

 

                Seul dans ma cellule, après ces trois premières heures de détention, je ne peux m’empêcher d’éclater en sanglots. Je ne pleure pas sur moi-même, mais sur mon épouse et nos six enfants, que je prive de mari et de père.

Une immense culpabilité m’envahit. Je me mets à me détester.

 

Avant, j’aidais les détenus depuis l’extérieur. J’étais aumônier de prison. Maintenant, je suis dedans, simple détenu. Enfermé à double tour, pour des mois. Il est arrivé la même aventure à certains surveillants de la pénitentiaire, certains gendarmes et policiers qui ont été condamnés et incarcérés, et cette aventure est on ne peut plus humiliante.

 

La porte s’ouvre vers 17 h 45, et l’on me donne ma « gamelle », c’est à dire un plateau en inox rempli de nourriture. Puis la porte se referme jusqu’au petit matin à 7 heures. Durant la nuit, plusieurs fois on m’observe au travers de l’œilleton.

J’ai beaucoup de mal à dormir. Alors je prends le comprimé que mon épouse m’avait donné pour mieux dormir la première nuit. J’aurais préféré ne plus vivre.

Je trouve encore la force de prier... puis je m’endors.

 

Que le réveil fut difficile ! J’avais l’impression de vivre un cauchemar éveillé. A 7 heures, la porte s’ouvre, je me sers en café et en lait sur le chariot (il n’y avait pas de sucre...).

Le café, c’est du jus de chaussette..., le lait est confectionné avec une mauvaise poudre... mais ça m’a fait du bien quand même...

 

Ma matinée est occupée par la visite à l’infirmerie. L’infirmière, qui remplit un questionnaire précis sur moi, me demande avec insistance pourquoi je suis sûr de ne pas être séropositif, elle ne comprend pas que j’en sois si certain, et me requestionne à nouveau... Il faudrait presque que je lui donne des preuves, mais lesquelles puis-je lui fournir ? Puis je suis reçu chez le médecin. A ce dernier, je peux confier mon désarroi du moment. Il m’écoute et m’encourage. J’ai les larmes aux yeux ; il semble me respecter totalement et profondément, cela se voit dans son regard, et à son attitude ; c’est si rare ici .

Il comprend que je suis chrétien, car ce qui attire son attention, c’est le fait que j’aie six enfants, et que tous les prénoms soient issus de la Bible. Après la consultation, d’une manière très naturelle, nous  échangeons quelques mots sur la foi et le réconfort que Dieu donne lorsqu’on est en détresse, l’importance de la prière.

 

C’est le deuxième signe que Dieu m’envoie dans ces murs. Combien je remercie cet homme pour sa présence et son écoute, et pour sa foi.

En prison, on a besoin de personnes comme lui !

   

 

COMME UN LION EN CAGE

 

                L’après-midi, j’essaie de tuer le temps. Je n’arrive pas à faire la sieste ni à lire,  je suis tellement tendu... Je tourne comme un lion en cage.

 

Le remplaçant de l’assistant social - alors en vacances -  me reçoit dans son bureau. Je lui dis, entre autres, combien je m’en veux à cause des souffrances que j’impose à mon épouse et mes enfants. Il me répond d’un ton glacial : « A cela, mon cher, il fallait réfléchir avant ! », ce qui signifie en gros : « c’est de votre faute ! vous n’aviez qu’à faire le nécessaire pour ne pas aller en prison ». Cette parole n’a fait qu’accentuer ma culpabilité et élargir ma blessure, alors que j’attendais une écoute, et éventuellement une parole de consolation, ou du moins, de compréhension.

 

Il est surprenant de constater comme dans le milieu carcéral on doute du repentir sincère d’un détenu. S’être repenti et avoir changé paraît encore plus suspect pour certains ! Du moins mes quinze mois de détention me l’ont-ils fait comprendre.

 

Je ne crois pas que les instances judiciaires tiennent compte profondément du comportement intérieur de l’individu présumé coupable : on examine sèchement la gravité des faits, les lois, les comportements extérieurs, mais pas réellement ceux d’une personne qui a une âme et une sensibilité propres. Il y a même une certaine tendance, voire une constante de suspicion vis-à-vis du détenu, sans parler d’un certain cynisme parfois.

 

Voici la juste opinion d’un ancien membre de l’administration judiciaire :

 

- « En théorie, nous incarcérons les délinquants pour deux raisons : premièrement, pour leur apprendre à se comporter d’une manière pacifique dans la société, deuxièmement, pour ne plus être obligés de nous en préoccuper. Le système de justice s’est rapproché du deuxième but. Une des difficultés qu’entraîne l’incarcération de la majorité des personnes qui commettent des infractions est que ce châtiment intensifie à long terme les problèmes, parce qu’il a pour effet de frapper d’incapacité les détenus. »

 

Il n’est pas étonnant que plus du tiers des longues peines, et plus de 60 % des courtes et moyennes peines récidivent après leur sortie. Car rien n’est vraiment fait en profondeur pour leur changement et leur réhabilitation. On traite des dossiers, des cas. Il est rare de rencontrer des interlocuteurs qui travaillent avec leur cœur. Pourtant cela peut arriver, mais c’est l’exception !

 

Le manque de travailleurs sociaux en prison est flagrant : le quota, c’est un travailleur social pour cent détenus. Quel genre de travail de qualité peut être accompli dans ces conditions ? Il faudrait quatre à cinq fois plus de travailleurs sociaux ! Il faudrait aussi un éducateur spécialisé, dont le rôle serait de rester toujours en détention durant son temps de travail, il irait de cellule en cellule tout au long de la journée, au gré des demandes urgentes ou des besoins évidents.

 

Lorsqu’un détenu découvre qu’il n’est plus qu’un numéro de dossier, il devient amer, en vient à des comportements violents et destructeurs, puis il pense au suicide. Cette découverte, il la fait tôt ou tard... Souvent il se renferme et vit sa souffrance en silence. Il arrive que certains se mutilent, se coupent un doigt, avalent une fourchette ou des morceaux de lames de rasoir. Derrière ces actes, il y a toujours un appel au secours important « Aime-moi, je suis un être humain ! ».

 

Je l’évoquerai plus loin, il y eut 1006 tentatives de suicide, et 1362 automutilations en 1998 dans les prisons françaises.

   

 

LA PORTE SE REFERME

 

 

                8 juillet : il est 16 heures, la porte de ma cellule d’arrivant s’ouvre, et l’on me conduit à ce qui doit devenir ma cellule, au rez-de-chaussée sud. Je refais vite mon paquetage, semblable à un gros ballot enveloppé dans mes couvertures. Nous passons différentes grilles fermées à clé. Tout autour de moi il y a 400 détenus répartis par étages. Beaucoup sont des étrangers.

 

Je rentre dans ma cellule : j’ai un choc : elle est d’une saleté repoussante. Il n’y a aucune hygiène. Le surveillant n’attend pas que je lui fasse quelque commentaire : il claque violemment la porte derrière mon dos et m’enferme à double tour. Je me suis demandé ce que signifiait cette violence. Le claquement de cette porte, je l’entends encore aujourd’hui...

 

Alors je me mets au travail : j’essuie et lave la table, la chaise, et nettoie la pièce avec une petite balayette qui traîne là. Il manque la moitié des brins de paille de riz de la balayette, ils ont été coupés : un surveillant me dira plus tard  - et j’ai vérifié la véracité de ce fait - qu’un détenu a dû les utiliser pour les fumer comme une cigarette. Le traversin est composé d’un vieux morceau de mousse découpé à la main dans un matelas et brûlé par endroits.

 

Les murs sont pleins de colle, de graffitis et de cire rouge (tirée de l’emballage des babybels des repas, elle sert à coller des photos de magazines au mur... en prison rien ne se perd). Dans les jours qui suivent, pour lutter contre l’ennui, je gratte méthodiquement avec mon ongle et mon couteau tout ce qui était collé au mur. Des centaines de taches ! Avec un vieux chiffon mouillé je nettoie le dentifrice collé lui aussi au mur : on s’en était servi pour coller des photos et des pages de magazines pornos. Durant une heure je nettoie la cuvette des WC. Cela n’avait pas été fait depuis plusieurs années...

 

Ma cellule fait 9 m². A droite en rentrant, une cuvette de wc sans le siège, bien en vue depuis l’œilleton de la porte, puis à la suite, un lavabo et une armoire dont la porte est pleine de trous. En face, la fenêtre. A gauche, une petite table d’écolier couverte de graffitis et à moitié délabrée, une petite bibliothèque en planches, d’une saleté repoussante, fixée au mur, et le lit métallique. Au sol, du carrelage comme dans les vieilles cuisines d’autrefois. Le tout est dans un état de saleté pitoyable et me fait penser à une très vieille arrière-cuisine.

 

J’ouvre ma fenêtre. Derrière les barreaux, elle donne sur la cour de promenade, une minuscule cour en forme de demi-camembert. A certaines heures, beaucoup de détenus y sont pour marcher, ou jouer aux cartes, en faisant un brouhaha incessant. De temps en temps on frappe à mon carreau pour demander du café ou des cigarettes... je n’en ai pas.

 

Autour de cette cour, un imposant mur de pierre très épais et très haut dissuade ceux qui voudraient s’évader. Au dessus de ce mur, des fils barbelés électrifiés, où sont accrochés plein de vieux morceaux de vêtements, et de plastique. Derrière le mur, un chemin de ronde utilisé la nuit par les surveillants. Et au dessus de la cour, des câbles anti-hélicoptère ont été disposés.

En prison le ciel est découpé en carrés par ces câbles, on ne voit plus le ciel comme avant, ni l’horizon. C’est une souffrance de plus.

 

Les premiers jours, ce qui me manque à part ma famille, c’est de pouvoir me promener dans la nature, mais aussi de voir des voitures...

   

 

INTERVENTION DES POMPIERS

 

 

                Il est vingt heures. On vient de m’observer au travers de l’oeilleton.

Je ferme ma fenêtre. J’ai bien fait car mon voisin du dessus, pour me dire qu’il me déteste, déverse des paquets d’eau à l’aide de bouteilles plastique ; tout cela coule le long de la façade : ma fenêtre étant heureusement fermée, l’eau ruisselle le long des vitres. Par la suite j’apprendrai que ce voisin du dessus avait plusieurs années encore à faire, il était amer et avait appris que j’étais nouveau : il lui fallait un souffre-douleur. Il renouvela son opération presque tous les soirs.

 

Ma première soirée est mouvementée. Tous les détenus se parlent en hurlant au travers des fenêtres jusqu'à 23-24 heures, beaucoup s’insultent, se menacent  et font du bruit.

On se passe des objets grâce à un système de « yoyos »... le yoyo, c’est un petit pot de ricoré en plastique, dans lequel on renferme ce qu’on veut, et grâce à une ficelle, on le fait basculer d’une fenêtre à une autre, à l’étage qu’on veut.

 

J’ai trouvé difficilement le sommeil... avec 27 degrés dans la cellule, et la fenêtre fermée à cause des projections d’eau. Au pied de ma fenêtre, à l’extérieur, vers 23 h, j’aperçois des bouts de matelas en mousse auxquels on a mis le feu ; certains balancent leur gamelle par la fenêtre, ainsi que des restes de nourriture, des bouteilles plastique, des magazines et le contenu de leur poubelle. On entend des éclats de rire cyniques. La fumée noire monte vers les fenêtres et j’entends bientôt la sirène des voitures de pompiers. Ils ont été alertés car des détenus ont lancé des bouts de matelas en mousse enflammés, également dans le chemin de ronde des surveillants.

 

Nous sommes à la veille du 14 juillet, et le climat est très tendu car on attend de savoir si cette année le Président de la République accorde des grâces. C’est bien connu des surveillants : le climat est très tendu avant l’annonce des grâces, et les jours de tempête ou de pleine lune.

 

Chaque matin les balayeurs doivent enlever des tas d’ordures au pied du bâtiment, dans la cour. Quand on va en promenade, les restes de ces immondices nous collent aux pieds. Bonjour l’hygiène !.  

   

LA FOURMI DU 14 JUILLET

 

 

            Il y a moins d’animation dans la prison. Nous sommes le matin du 14 juillet. Dehors, les fanfares paradent à quelques mètres de là.

On fête la France, pays des Droits de l’Homme.

Soudain je suis saisi d’un doute, un immense doute, qui ne m’a pas quitté depuis. Il y a un tel fossé entre ce qui se vit dans les prisons et la vérité qu’on proclame haut et court dans les discours officiels.

Quelle hypocrisie.

Il a fallu que je vive derrière les barreaux pour mieux le voir en face.

Et nous voulons donner des leçons à d’autres pays ! J’ai le sentiment que nos politiques ne savent pas réellement ce qui se passe derrière les murs épais des prisons françaises, leur visite est tellement rare...

 

Voici maintenant une semaine que je suis là. Il me semble que cela fait un mois...  Heureusement j’ai une petite compagne silencieuse dans ma cellule : une fourmi. Ma première tentation, le premier jour, a été de la tuer avec ma chaussure. J’ai réfléchi un instant, ai remis ma chaussure en place, et lui ai laissé la vie... J’ai béni Dieu pour ce petit être vivant qui me tenait compagnie... en zigzaguant sur mes murs... et souvent je lui parlais.

Chaque jour, pour ne pas devenir un mollusque, je fais du sport dans ma cellule. Avant mon incarcération, je pratiquais le stretching, en groupe, dans un club de remise en forme, ça consiste à effectuer des mouvements qui provoquent une élongation des muscles...  Qu’à cela ne tienne ! je les pratique maintenant en cellule, en me souvenant de leur enchaînement.

C’est ce que faisait l’acteur principal du film « Midnight Express » durant sa détention en Turquie.

Au niveau national, environ 30 % des détenus font du sport.

 

Le plus difficile à gérer ici, c’est le temps. Il est trop court à l’extérieur, trop long à l’intérieur.

Un proverbe français dit ceci : « Nous ne comptons les heures que quand elles sont perdues. »

 

Jean-Paul KAUFMANN, qui a vécu 1167 jours de détention dans le noir complet, le disait dans une interview  à la télé : « En détention, le supplice, c’est le temps. L’ennui, la tristesse, la mélancolie sont corrosifs et peuvent tuer un homme ».

Et puis, on a le sentiment que tout le monde est heureux sans nous.

On se sent inutile.

On panique, en pensant que jamais on ne sortira de ces murs.

   

PRISONS SURPEUPLEES

 

 

                La prison de Rennes n'est rien en comparaison avec d’autres prisons ! Un détenu qui avait été incarcéré dans la prison de Laval me confiait qu’en été, si la cellule est située directement sous les toits, il faut supporter à deux ou trois détenus, sur 9 m², une chaleur constante de 32 à 35 degrés, et comme il n’y a que très peu d’air qui passe à cause des « caches en plastique » installés devant les fenêtres, dans le but que les détenus ne soient pas vus de l’extérieur, ni ne voient aussi vers l’extérieur, on frôle le supplice.

 

J’ai eu la chance de rester souvent seul en cellule, mais dans d’autres établissements comme au Mans ou à Laval, ils sont trois, voire quatre personnes sur 9 m², avec des W-C sans aucune séparation ;  par cette température, c’est pire qu’un supplice. Il n’y a pas d’aération suffisante… II y a violation des articles D 350 et D 351 du Code de Procédure Pénale :

 

 

Article D. 350 : Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et " l'aération ".

Article D. 351 : Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue.

 

 

D’autre part, la promiscuité crée une situation de stress avec de fréquentes occasions de conflits entre co-cellulaires. Exemples : choix des programmes TV, et du fond sonore télévisuel. Dans cette situation de survie, on n’a rien envie d’entreprendre, on manque totalement d’énergie, on a de la peine à se concentrer, et on perd l’appétit.

 

Scandaleux : le taux d’occupation de la maison d’arrêt du Mans pour 1999 a été de 237 %, celui de la maison d’arrêt de Laval a été de 231 % !

A cette époque, 108 établissements sur 187 sont surpeuplés, dont 17 avec un taux supérieur à 200 % ! (Fontenay-le Comte 233 %; Béziers 228 ; La Roche sur Yon 222 ; Orléans 217 ; Toulon 216 ; Loos 211, Nice 207). Le taux moyen national d’occupation est de 114,8 %.

 

En mai 1999, un article de presse révélait que 136 détenus sont incarcérés à la Maison d’arrêt de Laval, alors qu’il n’y a que 56 places... Taux d’occupation en mai : 234 % ! Un vrai parc à bestiaux… L’article parle de troubles et d’incidents survenus dans cette prison le samedi 8 mai, et de la prise de position de l’UFAP (Union Fédérale Autonome Pénitentiaire), qui dénonce la surpopulation et le manque de personnel... Durant l’année 2000, le taux d’occupation est resté approximativement le même : les surveillants ont alors bloqué la maison d’arrêt en enflammant des pneus et des palettes devant l’entrée, le 16 octobre, et en réclamant 5 postes de surveillants en plus.

 

Je pense qu’aucun membre de l’administration pénitentiaire, ni Madame le Garde des Sceaux, n’accepteraient un tel taux d’occupation extrême dans leur propre logement... soit 3 à 4 personnes par tranche de 9 m², comprenant les toilettes !

 

« Le principe de l’encellulement individuel, qui impose d’attribuer à un détenu une place existante dans une cellule à une place, est prévu à l’article 716 du code de procédure pénale pour les personnes mises en examen et à l’article 719 pour les condamnés. Le respect du principe devrait prémunir les établissements pénitentiaires du surencombrement ; dans la pratique, l’emprisonnement cellulaire est bien respecté dans les établissements pour peine, qui accueillent les condamnés. Dans les maisons d’arrêt, en revanche, il n’est que très rarement respecté. Au total, au 1er mars 2000, seuls 8 174 détenus sont placés en cellules individuelles, sur les 35 244 détenus que comptent les maisons d’arrêt

 

Il devrait y avoir une loi qui interdit aux juges d’incarcérer, lorsque le taux d’occupation d’une maison d’arrêt dépasse un certain quota.

Ceci est déjà pratiqué aux Pays-Bas et en Finlande, et fonctionne très bien. C’est la pratique du « numerus clausus ».  L’Observatoire International des Prisons précise : « En France, ce système présenterait beaucoup d’avantages dont celui d’instaurer une collaboration entre l’administration pénitentiaire et les magistrats qui, pour l’heure, travaillent séparément et s’ignorent superbement. ” […] “ Dans le cas d’un numerus clausus, des clignotants préviennent lorsqu’on approche de la cote d’alerte d’occupation dans un établissement pénitentiaire. Dès lors, le directeur de la prison informe les magistrats du ressort qui sont ainsi incités à recourir à des dispositifs alternatifs à la détention, notamment au contrôle judiciaire, et qui sont invités à examiner toutes les situations en attente de décisions concernant les détenus incarcérés : les demandes de mise en liberté, les libérations conditionnelles, les détentions provisoires trop longues, etc. Les magistrats gardent la maîtrise de la mise en détention, mais les directeurs de prison sont en situation d’alerte et surtout des gérants responsables de leur établissement. Plusieurs directeurs de prison sont favorables à ce numerus clausus et tous les instruments de sa gestion existent. ”

 

Mais peut-être faudrait-il d’abord n’incarcérer globalement que les détenus réellement dangereux pour la société, et ceux qui sont susceptibles d’exercer de fortes pressions sur les victimes ? Et utiliser au maximum d’autres sortes de peines que l’incarcération ?

 

« Quant aux peines de prison de moins de six mois, elles sont tout à fait inutiles. C'est une erreur de la société d'enfermer les gens moins de six mois en établissement pénitentiaire. Ils vont se retrouver en maison d'arrêt – avec un régime de portes fermées – avec une population en surnombre et composée notamment de “ vieux chevaux de retour ” qui vont leur apprendre des choses illégales. En outre, ils se font racketter et subissent les agressions des autres détenus qui sont là pour plusieurs années. »  M. Jean-Luc AUBIN (Audition de l'Union fédérale autonome pénitentiaire, devant la commission d’enquête parlementaire – juin 2000)

 

M. Guy Canivet, Premier Président de la Cour de Cassation témoigne ainsi devant la commission d’enquête parlementaire : “ Il est exact que la décision d’un juge de placer en prison ne tient aucun compte des capacités d’exécution de la mesure. On place en détention sans limite de capacité des établissements et l’on demande à l’administration pénitentiaire d’exécuter ! Un directeur de maison d’arrêt vous dira qu’il lui est impossible de refuser une incarcération. Lorsqu’il reçoit une personne placée sous mandat de dépôt, il est obligé de l’écrouer.” 

(Rapport  n° 2521 de la Commission d’Enquête sur la situation des prisons françaises - Assemblée Nationale - juin 2000)

 

  

Souvenez-vous des prisonniers, comme si vous étiez aussi prisonniers.... (Épître aux Hébreux 13 :3)

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