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  VIOLENCES - MORTS SUSPECTES  

  SUICIDES NON ELUCIDES EN PRISON  

Hélas, trois fois hélas, faut-il rappeler ici les longs silences impardonnables de l'Administration Pénitentiaire lors de suicides de détenus, silences cruels qui représentent parfois de véritables délits aux yeux des familles proches de celui ou celle qui vient de se suicider ou d'être tué. Nous les comprenons, et partageons leur souffrance qui est également à nos yeux intolérable, et inacceptable. Nous dédions à ces familles la rubrique que vous allez lire, et qui se remplira malheureusement au fil des temps. Nous publierons ici les dossiers les plus criants, où les atteintes à la dignité humaine sont manifestes.


 

  Nous lançons... l'ALERTE N° 2    Chaque jour, 3 tentatives de suicide en prison (donc 90 tentatives par mois), et 3 débuts de grève de la faim par jour. Un suicide effectif tous les trois jours.  (Site Prisons 31.12..2004)

 

 


 
Ces «sorties de prison» les pieds devant
Cédric, Mamadou, David... comme tant d'autres, ils sont morts en prison. Les familles demandent des comptes.
 
Lundi 11 juillet 2005, dans Libération 

David avait 22 ans, on l'a retrouvé mort dans sa cellule de la prison de Laon, en mars. Overdose de méthadone. Il venait d'être condamné à trois mois ferme pour vol, en comparution immédiate. Pour Cédric, 28 ans, c'était à Fresnes, dans la nuit du 18 février 2005. Pendu avec un câble électrique : après trois mois et demi passés à l'hôpital de la prison pour une gravissime tentative de suicide. Il était revenu en cellule depuis dix jours. Mamadou, lui, est mort le 22 mai, le lendemain de son incarcération, battu par un codétenu à la prison d'Osny... Trois morts parmi les 250 (dont environ 120 suicides) qui figurent de manière surprenante à la rubrique «Sorties de prison» dans les statistiques annuelles de l'administration pénitentiaire. Trois morts pour lesquelles les familles demandent explications et réparations.

Ciseaux. Me Nicolas Salomon visitait fréquemment Cédric, détenu à Fresnes. La mort de son client l'a atterré : «Cela m'a fichu en l'air, il avait mon âge, il aurait pu être mon copain, je n'arrive pas à comprendre comment, après une première tentative de suicide, on a pu lui faire réintégrer la maison d'arrêt seul en cellule...» Cédric, selon le rapport de l'administration, a coupé un câble avec des ciseaux qui traînaient là, puis s'est pendu au lit du haut.

Au nom de la famille, Me Henri de Beauregard a attaqué l'administration pénitentiaire : «La faute est énorme, assure-t-il, dans sa cellule, on lui a laissé un câble et des ciseaux. Pourquoi pas une 22 long rifle !» L'avocat est d'autant plus en colère que nul ne pouvait ignorer la fragilité de Cédric : «Aucune mesure de surveillance particulière n'a été prise, et son suicide n'a été découvert qu'à la faveur d'un "contrôle oeilleton" classique.» D'autant plus ému aussi que, selon lui, la famille en est encore à attendre les souvenirs, les cahiers de dessins et les lettres de Cédric : «Ils ont juste reçu la copie d'une lettre qu'il leur avait envoyée. Et après avoir appris la mort de leur fils, les parents ont appelé sans relâche le parquet de Créteil pour en savoir plus, mais on les a baladés de service en service.» L'avocat réclame 48 000 euros à l'Etat pour les parents, le frère et la fiancée de Cédric. «Ce sont des gens simples et gentils. Ils n'auraient même pas pensé à aller voir un avocat s'ils n'avaient pas été traités avec tant de désinvolture», reprend Me Salomon.

Subutex. Me Jean-Marc Prud'homme avait défendu David en comparution immédiate devant le tribunal de Saint-Quentin : «Lors du vol, il était sous Subutex et avait avalé dix Tranxène. C'est comme ça qu'il a enfilé des baskets dans un magasin et piqué trois lecteurs MP3. Les vendeuses ont témoigné, il était dans un état second. Elles le connaissaient, c'était la seconde fois qu'il volait dans ce magasin.» L'audience était un vendredi : «Il m'a remercié, s'émeut l'avocat, le dimanche il est mort !» Deux mois plus tard, le 31 mai, le parquet a ouvert une information : «A-t-il simulé un état de manque pour avoir des produits de substitution ? Le médecin a-t-il prescrit trop de méthadone ? Y a-t-il un trafic de ce produit dans la maison d'arrêt ? Nous voulons savoir si une faute a été commise», assure le procureur de la République. «Le tribunal l'a condamné sans se soucier de son état... regrette Jean-Marc Prud'homme, et ensuite, à son arrivée à la maison d'arrêt ont-ils seulement fait attention à lui ?»

Coups. Mamadou est entré à la prison d'Osny le 21 mai, le lendemain il est mort après une bagarre en cellule. Au greffe, il n'avait laissé qu'un nom de commune et le prénom de sa fillette de 9 ans, mais pas d'adresse. La famille a été activement recherchée, la retrouver a pris huit jours. «Il aurait été très facile de nous retrouver en passant par l'ambassade de Guinée où nous sommes enregistrés, nous pensons qu'en fait on ne s'est pas donné beaucoup de mal», proteste la famille. C'est aussi ce que pense Mouloud Aounit, du Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), qui a demandé des explications au garde des Sceaux.

La famille assure que la directrice de la prison l'a reçue le 31 mai et lui a dit que «la bagarre avait commencé dans la cour et que, ensuite, Mamadou a été réenfermé avec le même type. Il avait appelé à l'aide, mais les secours ont tardé». L'administration répond : «Aucune faute n'a été commise dans le placement en cellule». 


Hughes de Suremain, membre de l'Observatoire international des prisons:
«La sécurité des détenus doit être assurée»
lundi 11 juillet 2005

Le 5 juillet, deux médecins de Compiègne ont été mis en examen pour «blessures involontaires» pour avoir détecté trop tard la tumeur cancéreuse d'un détenu, sorti paraplégique de prison. Le 9 juin, le directeur de la prison de la Santé et l'Assistance publique ont été mis en examen pour «homicide involontaire» après le suicide, par pendaison, d'un détenu au mitard en 1999. Deux signes de l'évolution de la jurisprudence.

Hughes de Suremain, membre de l'Observatoire international des prisons, analyse la responsabilité de l'administration.

De quand date le changement ?

Au départ, la responsabilité des services pénitentiaires n'était engagée qu'en cas de faute d'une exceptionnelle gravité. En 1978, le Conseil d'Etat a jugé que l'administration pénitentiaire se doit d'assurer la sécurité des détenus, mais on butait encore sur l'exigence d'une faute lourde. En 2003, un arrêt a fait basculer les choses. Il suffisait d'une faute simple. On assiste depuis à une succession de décisions, en matière de suicide notamment. Cela aboutit à un examen détaillé des faits. Souvent les juges condamnent une succession de fautes. Comme une mauvaise appréciation du placement en cellule, quelqu'un de psychologiquement fragile laissé seul ou placé avec un codétenu lui-même souffrant de troubles. Ou le défaut de communication avec le service médical. Après les rapports et les circulaires sur la prévention du suicide en prison, il faudra bien demander des comptes à l'administration pénitentiaire.

Quid des violences entre détenus?

L'obligation de sécurité est aussi consacrée par la Cour européenne. On retombe là sur les notions de surveillance, de choix des codétenus. Les effets de la surpopulation entrent également en ligne de compte. Mais cela n'exonère pas l'administration. Les juges commencent à intégrer les constats du Comité de prévention de la torture et les enquêtes parlementaires où il est dit que les violences sont favorisées par la promiscuité. Le tribunal administratif de Rouen vient de considérer que l'administration devait veiller à ce que l'encellulement collectif ne génère pas de risque pour les détenus et a condamné l'Etat pour des violences subies par un condamné d'une maison d'arrêt surpeuplée.


 

Prison de Fresnes  :  Les proches du détenu décédé informés par hasard le 20 décembre 2003, six jours après son décès


TERRIBLE oubli à la maison d'arrêt de Fresnes. Un détenu soigné à l'hôpital de la prison est mort le mois dernier et sa famille ne l'a appris que six jours plus tard, par téléphone, en cherchant à prendre de ses nouvelles. Un « loupé » dû à un « vide humain », selon l'administration pénitentiaire...

Selon l'Observatoire international des prisons (OIP), M. F..., âgé d'une cinquantaine d'années, était arrivé le 9 décembre 2003 à l'établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF) après avoir été gravement brûlé deux mois plus tôt en mettant le feu à sa cellule au centre de détention d'Ecrouves, en Meurthe-et-Moselle. Le 13 décembre, sa concubine, qui vit en province, lui rend visite à Fresnes. Le lendemain, dans la nuit, M. F... décède après un arrêt respiratoire. Sa concubine n'est pas alertée. Six jours plus tard, elle tente de s'informer par téléphone de son état de santé. C'est donc fortuitement et brutalement qu'elle apprend la mort de son ami. « Depuis, les courriers qu'elle lui avait envoyés lui ont été retournés, barrés de trois lettres : "DCD", précise l'OIP. En fin de semaine dernière, l'amie du détenu n'avait toujours pas reçu de courrier officiel de l'administration pénitentiaire l'informant du décès. Elle n'est pas la seule à avoir été oubliée, puisque le fils de M. F... ne s'est vu confirmer le décès qu'en prenant l'initiative d'appeler Fresnes à son tour.
« Un loupé considérable ». Pour l'OIP, ces faits sont en complète contradiction avec une circulaire très précise de mai 1981 sur les relations entre l'administration pénitentiaire et les proches d'un détenu malade ou décédé (lire ci-dessous). Alain Paris-Zucconi, directeur de l'hôpital de la prison de Fresnes, a convenu hier qu'il y avait eu un « loupé considérable ». Le médecin qui a constaté le décès puis le cadre de santé ont en effet oublié d'aviser la famille. « Du fait de cette absence d'information initiale, tout le rouage administratif s'est grippé, et personne n'a prévenu les proches, croyant que les autres l'avaient fait, explique le directeur. Il y a eu une erreur humaine. Pourtant nous avons un protocole très clair et il est important de mettre la forme dans l'annonce d'un décès car cela participe au phénomène de résorption du deuil. » Le directeur précise qu'il a envoyé cette semaine un courrier officiel d'excuses et de condoléances à la famille et que le personnel a reçu une information pour que cette erreur « regrettable » ne se renouvelle pas.

Brendan Kemmet -  Le Parisien , mercredi 14 janvier 2004  ©

*

L’OIP rappelle la circulaire de l’administration pénitentiaire du 12 mai 1981, relative à l’ « Amélioration des relations entre l’administration et les proches d’un détenu malade ou décédé » :

«  L’entourage d’un détenu, déjà bien souvent éprouvé par la détention elle-même, mérite, dans des circonstances pénibles comme celles-ci, une considération et une compréhension particulières. (…) ».

S’agissant des cas de décès, de maladie mettant les jours du détenu en danger, d’accident grave ou de placement en hôpital psychiatrique, la circulaire prévoit que « doivent d’abord être prévenues la ou les personnes appartenant à la proche famille du détenu. (…).

Il conviendra de choisir à chaque fois le mode de communication propre à assurer la diffusion la plus rapide de la nouvelle, en fonction de son urgence et de sa gravité, quitte à distinguer une information immédiate, même concise, et une information complémentaire ultérieure plus développée. En tout état de cause, et particulièrement dans le cas d’un décès, il faut éviter tout retard qui pourrait être mal interprété. (…)

L’information immédiate peut être assurée par tous moyens, y compris le téléphone. Dans le cas d’un décès, il conviendra de donner en outre un support écrit à l’information, par l’expédition d’un télégramme. L’information complémentaire devra être donnée, si les intéressés en font la demande, soit, verbalement, par téléphone, soit par écrit s’ils ne sollicitent pas un tel entretien. »

 

Commentaires du Site "Prisons" : Nous avons encore là un bel exemple de l'inhumanité d'un système qui "broie" et casse les personnes incarcérées et leurs familles. Pour une erreur dévoilée à la presse, combien d'erreurs quotidiennes du système, combien de suicides ou tentatives qui auraient pu être évités, ne sont pas dévoilés ? Leur nombre est impressionnant, comme le prouvent les nombreux courriels que nous recevons sur notre site. C'est le signe des atteintes incessantes des mondes judiciaire et pénitentiaire aux droits de l'Homme et à la dignité humaine. Y compris au Code de Procédure Pénale. 16.01.2004


Justice-prison-violence


   La commission de déontologie dénonce des violences à la prison des Baumettes
:
  
   PARIS, 23 déc
embre 2003 - La Commission nationale de déontologie de la sécurité
(CNDS), présidée par Pierre Truche, dénonce, dans un rapport communiqué mardi
par l'Observatoire international des prisons (OIP), des violences commises par
des surveillants contre un détenu à la prison des Baumettes, à Marseille.
   Saisie de ces faits par le sénateur (PCF) Robert Bret, la CNDS raconte dans
son rapport daté du 19 novembre le cas d'un détenu désigné comme "M. Cl" qui a
fait l'objet à deux reprises de violences à son encontre, en février et mars
2003, comme l'explique Libération qui révèle cette information jeudi.
   Le 26 février, ce détenu raconte avoir été conduit dans les douches de la
prison, dénudé, menotté dans le dos, mis au sol et insulté par plusieurs
surveillants. Invités à s'expliquer, ces derniers ont de leur côté rapporté
n'avoir eu recours à la force que parce qu'il refusait de regagner sa cellule.
   Selon eux, l'intéressé a en outre été conduit aux douches et dénudé pour
être fouillé au corps pour des raisons de "sécurité".
   Le lendemain, l'intéressé tentait de se suicider en se pendant dans sa
cellule. Il était immédiatement hospitalisé.
   Mais le 1er mars, ses parents se rendent au parloir et constatent qu'il
n'est pas là. "Aucune information ne leur est faite par l'administration
pénitentiaire sur les raisons de cette absence. Ils disent avoir appris de
détenus (...) la tentative de suicide de leur fils", déplore la CNDS.
   Le 21 mars, le même détenu raconte ensuite avoir été notamment frappé au
visage par un surveillant parce qu'il exigeait de regagner sa cellule à l'aide
d'un monte-charge, ayant été convoqué devant la commission de discipline avec
tout son paquetage, extrêmement lourd.    En conclusion, la CNDS émet plusieurs recommandations.    Elle demande notamment "une stricte application des dispositions" relatives
aux fouilles de détenus, qui exigent notamment que celles-ci se fassent dans
"un local approprié à cet usage". Elle préconise en outre de rendre
"obligatoire" l'information aux familles lors des tentatives de suicide. (OIP-23.12.03)

 


jeudi 23 janvier 2003

120 suicides dans les prisons en 2002, un psychiatre chargé d'une réflexion

PARIS (AFP) - Le nombre de suicides en prison a été de 120 en 2002, soit 16 de plus qu'en 2001, a-t-on appris auprès de la Chancellerie où une mission de réflexion sur ce phénomène a été confiée jeudi à un psychiatre, spécialiste de cette question. Le taux de suicide a atteint 22,8 pour 10.000 détenus contre 21,6 en 2001 après 24 en 1999 et 2000, selon la même source. Ce taux était de 10 en 1980. Reconnaissant que le nombre de suicides survenus en détention a "considérablement augmenté" au cours des vingt dernières années, le ministère de la justice et celui de la santé ont confié jeudi une mission de réflexion au psychiatre Jean-Louis Terra. 

Ce spécialiste du suicide doit "évaluer les actions mises en place jusqu'à présent et proposer les éléments" pour mettre en oeuvre "un programme complet de prévention du suicide", souligne la lettre de mission adressée au professeur Terra, chef de service au centre hospitalier Le Vinatier de Bron (Rhône). Le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, Pierre Bédier, avait souligné début janvier que le taux de suicides en détention en France était "deux fois plus élevé qu'en Allemagne". Le professeur Terra devra notamment s'attacher à identifier les facteurs qui ont conduit le détenu au suicide ainsi qu'à la formation du personnel pénitentiaire, en particulier pour qu'il puisse repérer les signes annonciateurs du passage à l'acte. Le psychiatre doit remettre son rapport avant le 15 septembre prochain, précise la lettre de mission dont l'AFP a reçu copie. Le professeur Terra a participé depuis 1997 à la conception et à la réalisation du programme national de prévention du suicide piloté par le ministère de la santé.

A l'annonce de cette nomination, l'Observatoire International des Prisons (OIP), une ONG qui lutte pour le respect des droits des détenus, a regretté qu'une seule personne "même qualifiée" soit nommée pour mener une telle réflexion et pas une commission de plusieurs membres. Elle a souhaité que Jean-Louis Terra "impose un regard extérieur sur le problème du suicide en prison" et n'accepte pas comme "une fatalité que le taux de suicide soit plus important en prison qu'à l'extérieur". Selon Patrick Marest, délégué de l'OIP, le taux de suicide en prison est sept fois plus élevé qu'à l'extérieur. "Depuis 10 ans, le phénomène du suicide en prison est hors de contrôle. Il n'est jamais redescendu en-dessous de 100 cas par an", a regretté le responsable de l'OIP. Notant que ce phénomène n'est pas forcément lié à la surpopulation carcérale, il a souhaité que de "véritables enquêtes" soient menées dans les établissements où le taux de suicide est anormalement élevé. Trois suicides de détenus, deux femmes et un homme, sont survenus ces trois derniers jours en région parisienne à Fleury-Mérogis (Essonne) et Poissy (Yvelines).

 



Prisons : Suicide : l'incurie carcérale
Journal l'Humanité : Article paru dans l'édition du 9 décembre 2003

Rendu public, le rapport sur le suicide des détenus dresse un constat accablant et fixe un objectif : réduire en cinq ans leur nombre de 20 %.

Cent trente-neuf personnes devraient se suicider cette année en prison. La projection émane du rapport du psychiatre Jean-Louis Terra, à qui le garde des Sceaux, Dominique Perben, et le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, ont confié une mission de réflexion sur le sujet en janvier dernier. À savoir, évaluer les actions mises en place jusqu'à présent et proposer les éléments permettant de conduire un programme complet de prévention du suicide en détention. Dans son étude rendue publique demain, le praticien, chef de service au centre hospitalier à Bron (Rhône), rappelle cette terrible réalité : on se donne six fois et demie plus la mort derrière les barreaux qu'à l'extérieur. La France détient le troisième taux de suicides en prison le plus élevé d'Europe, derrière le Danemark et la Belgique. Et le nombre de suicides a doublé entre 1980 et 2002 (lire ci-contre). En 2002, 122 détenus se sont donné la mort, soit 16 de plus qu'en 2001.

Afin de juguler une situation des plus alarmistes, le spécialiste propose un " objectif national " : réduire de 20 % en cinq ans le nombre de prisonniers qui se suicident. Précisant toutefois que les possibilités d'amélioration sont cependant limitées par la surpopulation carcérale. Profils des victimes, pratiques utilisées ou lieux de passage à l'acte ont été analysés. Il en ressort que les prévenus, présumés innocents donc, sont plus touchés que les condamnés, même si cette tendance s'inverse pour les peines supérieures à vingt ans de réclusion. De plus, un tiers des détenus concernés ne recevaient plus aucune visite. 92 % des suicides ont lieu par pendaison, 80 % dans la cellule et la nuit dans 55 % des cas. En outre, les maisons d'arrêt, principaux établissements touchés par la surpopulation et le manque d'effectifs, sont des endroits particulièrement suicidogènes.

Les trois quarts des prisonniers qui se sont donné la mort l'an dernier n'ont ainsi pas été identifiés comme étant suicidaires. Pis, certaines familles avaient pourtant averti l'administration pénitentiaire. On ne peut donc que souligner le caractère exceptionnel de la condamnation de cette dernière, le 2 décembre dernier, par le tribunal administratif de Grenoble, à verser une somme de 54 240 euros au titre du préjudice moral à la famille d'un détenu découvert mort le 30 mai 1998 d'une overdose de médicaments au centre pénitentiaire de Saint-Quentin Fallavier (Isère). Une dizaine d'emballages de produits pharmaceutiques avaient été " découverts ", alors qu'une fouille de la cellule avait eu lieu cinq jours plus tôt.

Pour pallier les carences identifiées, le professeur Terra axe principalement ses préconisations autour de la prévention, via la formation des personnels et de tout intervenant dans l'univers carcéral, y compris des codétenus. À travers l'initiation d'une prise en charge précoce, tous seraient alors " capables de contribuer à identifier les personnes à risque de suicide élevé, de repérer une crise suicidaire, d'intervenir, d'alerter et d'orienter ". D'ici trois ans, 2 000 personnes pourraient être formées.

Second pivot préventif recommandé : l'amélioration de la prise en charge psychiatrique et psychologique des détenus. Une " anomalie majeure " dans un système de soins déjà largement lacunaire en milieu pénitentiaire. Or, comme l'indique le psychiatre, " la souffrance psychique induite par les maladies mentales est la première cause de suicides ". La dépression touche en particulier " entre 15 % et 50 % " (sic) des détenus. Le rapport appuie également la possibilité d'une hospitalisation pour des soins psychiatriques, même sans son consentement, comme cela est possible à l'extérieur sur demande d'un tiers. L'auteur évoque l'instauration d'un " document commun " aux personnels sanitaires et pénitentiaires, ouvert dès la garde à vue, pour " évaluer le potentiel suicidaire d'un détenu et définir les actions à entreprendre ". Alors que 11 % des suicides ont lieu au quartier disciplinaire, le rapport s'oppose à l'envoi des détenus en crise suicidaire au mitard. Selon une étude du chercheur Nicolas Bourgoin, les détenus s'y donnent sept fois plus la mort qu'en détention normale. Cette disposition, déjà référencée dans une circulaire de mai 1998, est restée sans effet, tandis que la sanction disciplinaire est devenue de fait un moyen de régulation carcérale.

Les constats dressés dans ce nouveau rapport font largement écho à ceux répertoriés dans cette même circulaire et dans une autre mise au point en avril 2002. Leur mise en application n'a pas suivi. Le soutien et le repérage des personnes fragiles entrants en prison sont un exemple. " Il existe pourtant encore nombre d'établissements dans lesquels il n'y a pas de cellule pour les arrivants. Quand bien même il y en aurait, les détenus n'y passent parfois qu'une journée pour cause de surpopulation, car il faut libérer les places pour les suivants ", commente ainsi François Carlier, de l'Observatoire international des prisons. " C'est bien l'ensemble du cadre carcéral qu'il est nécessaire de modifier, analyse encore le militant. Il faut lutter contre les réflexes de base, à l'image de la surveillance spéciale imposée à un détenu à risques. " Or, comme l'indiquait toujours la circulaire de mai 1998, la politique de prévention " n'est efficace et légitime que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d'acteur de sa vie ".

Sophie Bouniot


 

06/08/2002

MORT SUSPECTE ET SILENCE ASSASSIN

  

Le 25 avril 2002 Belgacem Soltani condamné à 9 mois de détention pour « outrage à agent » est retrouvé mort dans sa cellule de la Maison d’arrêt de Tarbes. Il avait 19 ans. L’Administration pénitentiaire a sobrement conclu à un suicide par pendaison. Pour sa famille et tous ceux qui le connaissaient, l’hypothèse d’un suicide paraît impossible. Sa forte personnalité, son état moral (v. ses lettres) ainsi que son temps de réclusion, malgré la dureté du régime qu’il subissait, ne peuvent expliquer un tel acte. A moins qu’il faille précisément chercher du côté de cette forte personnalité les raisons de ce décès.

Belgacem Soltani avait en effet à plusieurs reprises fait l’objet d’intimidations, de menaces et de violences de la part de certains surveillants : quand bien même ceux-ci auraient eu besoin de recourir à la force pour le maîtriser, RIEN ne peut expliquer l’état de son cadavre. Ce serait, curieusement, à la veille d’un examen médical réclamé par Belgacem Soltani consécutivement à un « accrochage » avec ces gardiens qu’il a été retrouvé mort.

 Les quelques éléments d’enquête arrachés par la famille Soltani - qui a porté plainte pour « homicide volontaire avec préméditation » et « non-assistance à personne en danger » - au procureur en charge de l’affaire, comportent pour le moins de bizarres incohérences, et font état, au mieux, de négligence criminelle ; au pire, elles attesteraient de pratiques barbares absolument intolérables et injustifiables dans un Etat prétendument de droit : la torture et l’assassinat. 

Pour Belgacem Soltani il est trop tard, bien que sa mémoire soit vivante pour sa famille et ses ami(e)s. Car le crime commis contre Belgacem Soltani est aussi le silence : celui d’associations de défense des droits de l’Homme qui, alertées sur sa situation, n’ont pas eu le temps ou pas jugé utile d’enquêter et de dénoncer l’acharnement dont il se disait victime ; celui de médecins qui refusent aujourd’hui de pratiquer une contre-autopsie ; enfin, le nôtre, si nous ne nous mobilisons pas pour que toute la lumière soit faite sur les circonstances précises de ce décès.  

Sinon autant dire que la douleur d’une famille qui a perdu son enfant, que la mémoire d’un taulard, d’un jeune, d’un beur, et que la vérité surtout, n’ont aucune valeur aujourd’hui en France. Le silence est une complicité qui tue une seconde fois.

 

(Communiqué de Ban Public
www.prison.eu.org 
- transmis le 6 août 2002)

 Pièces annexes :

Témoignage de la famille Soltani et photos de BelgacemDossier Belgacem SoltaniLettre de la Famille Soltani à Me Dana


SUICIDES EN PRISON : un tous les trois jours - L'Observatoire des Prisons donne l'alerte

"Depuis dix ans, les pouvoirs publics restent spectateurs et ne font rien. Il y a désormais davantage de suicides en prison que de morts naturelles" s'indigne Patrick Marest, le porte-parole de l'Observatoire International des Prisons. "Tant que le statut du prisonnier le réduit à un numéro de matricule, cela ne marchera pas. En réalité, beaucoup de gens s'en fichent de la question suicide des détenus. Lors de la commission d'enquête sur les prisons, un surveillant a reconnu que, pour l'administration, il valait mieux un suicide qu'une évasion. Regardez, après les évasions de Ploemeur, comme le ministre accourt dans la minute en hélicoptère. A t'on vu un pareil empressement quand il y a des suicides ?" "Rien n'a changé. Après un suicide, le directeur remplit un formulaire. Pas d'enquête, pas de sanctions. On attend que cela se passe..." "Il ne s'agit pas de mettre un surveillant derrière chaque détenu, mais de changer le regard porté sur le détenu." "L'administration pénitentiaire a été destinataire d'un rapport qui expliquait tout, le pourquoi, le comment du suicide" "Il y a la sourde oreille face à ces textes quand ils stipulent que la prison doit chercher à restaurer le détenu dans sa dimension de sujet et d'acteur de sa vie." (OF - 5.11.02)



Extrait du GUIDE DU PRISONNIER - Observatoire International des Prisons (Les Editions de l'Atelier - prix de l'ouvrage 18,29 euros, à commander à l'OIP - 31 rue des Lilas, 75019 PARIS - tél. 01.44.52.87.90)

258 personnes détenues sont décédées en prison en 1999 : 133 à la suite d’une mort naturelle et 125 à l’issue d’un suicide. Depuis 1991, l’administration pénitentiaire a été confrontée à un doublement des suicides parmi les personnes incarcérées. Le taux de suicide est de 24 pour 10.000 détenus en 1999 (22 pour 100.000 en « milieu libre »), alors qu’il était de 12,9 en 1991. La France est le troisième pays d’Europe ayant le plus important taux de suicide en prison, après la Slovénie et l’Ecosse. Rapports et circulaires se sont donc multipliés sur cette question. Un groupe de travail créé en 1995 sur la base d’une étude de Nicolas Bourgoin aboutit en mai 1996 à la définition d’une politique de prévention du suicide en milieu pénitentiaire. Elle est mise en œuvre un an plus tard dans 11 sites pilotes. Un rapport d’évaluation de février 1999 constate cependant que nombre de recommandations ne sont pas ou peu appliquées dans les prisons. Le suicide d’un détenu reste considéré comme un incident regrettable dont l’administration ne porte pas la responsabilité. Après deux années de légère baisse en 1997 et 1998, le chiffre des suicides remonte en 1999.

510-Que doit faire un chef d’établissement en matière de prévention du suicide ?
Une circulaire de mai 1998 a rappelé aux chefs d’établissement tout ce qui peut être mis en œuvre sur la base des textes déjà existants afin de tenter de prévenir les suicides. Il s’agit tout d’abord de porter une attention prioritaire lors de la période d’accueil du détenu arrivant, phase de risque suicidaire. Les agents du greffe ou de surveillance sont invités à une particulière vigilance afin de repérer les détenus en état de détresse. Ils doivent informer le détenu des différentes phases de la procédure d’accueil. Le détenu doit également être reçu par le chef d’établissement le jour de son arrivée ou le lendemain et par le service médical dans les délais les plus brefs. Si le comportement d’un détenu semble justifier une prise en charge médicale d’urgence, l’équipe médicale doit en être alertée par le gradé de permanence, lui-même alerté par un surveillant. Les règles d’hygiène (remise d’une trousse de toilette, douche dans les plus brefs délais, fourniture de sous-vêtements…) doivent être scrupuleusement respectées. Le détenu doit pouvoir bénéficier rapidement du linge apporté par sa famille, même lorsque le permis de visite n’a pas encore pu être obtenu, ainsi que du nécessaire pour correspondre avec ses proches.
La vigilance du personnel pénitentiaire est également demandée pendant un séjour du détenu au quartier disciplinaire. Il est désormais interdit de placer un détenu nu au mitard, même en lui laissant des sous-vêtements en fibres non-tissées, fût-il suicidaire. Il est également rappelé que la mise en prévention au quartier disciplinaire avant le passage en commission de discipline doit rester exceptionnelle. Le personnel pénitentiaire doit également être plus attentif pendant la nuit et le week-end. Il lui est rappelé de ne pas négliger la consignation dans les cahiers ou fiches d’observation des éléments d’information collectés au cours de son service. Enfin, un dialogue doit être immédiatement établi avec les auteurs d’actes auto-agressifs (automutilation, tentative de suicide…). Ils doivent rencontrer le directeur ou son délégué, des membres des services médical et socio-éducatif le plus rapidement possible.
Articles D.61, D.250-3, D.270, D.272, D.285, D.359, D.423, D.464 du Code de procédure pénale, circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998 sur la prévention des suicides

511-Que doit faire un chef d’établissement suite à un suicide à l’égard des codétenus et du personnel de surveillance ?
En principe, le choc que constitue pour un détenu le suicide de son codétenu doit être pris en charge. Le détenu doit être signalé systématiquement au responsable de l’équipe médicale et aux travailleurs sociaux afin qu’un suivi soit engagé. En pratique, il arrive souvent que le codétenu soit simplement changé de cellule ou transféré dans une autre prison.
A l’intention des personnels qui le souhaitent, le directeur régional des services pénitentiaires doit organiser dans chaque prison où a eu lieu une tentative de suicide ou un suicide un e ou plusieurs séances de parole sous la direction d’un psychologue. La première séance doit avoir lieu dans les jours qui suivent l’événement. Tout membre du personnel (pénitentiaire ou médical) doit pouvoir y participer.
Circulaire JUSE9840034C du 29 mai 1998 sur la prévention des suicides

512-Que se passe-t-il en cas de décès dont la cause est inconnue ou suspecte ?
En cas de suicide, mort violente ou si la cause du décès est inconnue ou suspecte, un officier de police judiciaire doit se rendre sans délai sur les lieux et procéder aux premières constatations. Le procureur de la République ou un officier de son choix se rend sur place s’il le juge nécessaire afin de déterminer les circonstances du décès. Il peut alors engager une information pour recherche des causes de la mort. En pratique, tous les décès survenus en détention font l’objet d’un rapport d’autopsie à la demande des parquets.
Articles 74 et D.282 du Code de procédure pénale

513-Quelles autorités le chef d’établissement doit-il avertir en cas de décès d’un détenu ?
Le chef d’établissement doit informer le préfet, le procureur de la République, le directeur régional des services pénitentiaires et le ministre de la Justice de tout décès en détention. Si le détenu décédé était prévenu, l’information doit également être adressée au magistrat saisi du dossier de l’information ; s’il était condamné, au juge de l’application des peines. Une déclaration de décès est également faite à l’officier de l’état civil. Le lieu du décès ne doit être indiqué dans l’acte de décès que par la mention de la rue et du numéro de l’immeuble, et non celle de « maison d’arrêt » ou « centre de détention ». L’aumônier et le visiteur de prison qui accompagnaient éventuellement le détenu doivent également être avisés du décès.
Articles D.280, D.282 et D.427 du Code de procédure pénale

514-Comment l’administration pénitentiaire doit-elle informer les proches d’un détenu qui vient de décéder ?
En cas de décès d’un détenu, sa proche famille doit en être immédiatement informée : il peut s’agir de famille naturelle comme légitime ; du concubin au même titre que du conjoint. Des parents même éloignés peuvent également être avertis s’ils portaient un intérêt particulier au détenu ou si des circonstances particulières le justifient. A son écrou, le détenu aura désigné les personnes à prévenir dans ce cas. Le chef d’établissement doit avertir les proches du détenu par le moyen le plus rapide, soit le téléphone, et leur expédier en outre un télégramme pour donner un support écrit à l’information. Il est recommandé aux personnels en relation avec la famille d’un détenu décédé d’adopter une attitude faite de patience et compréhension, qu’elle que soit l’attitude des intéressés.
Si un entretien est demandé par la famille pour obtenir de plus amples informations, le chef d’établissement doit en principe le lui accorder dans les meilleurs délais, sauf impossibilité. Aucune demande d’information ne doit être laissée sans réponse. Le chef d’établissement doit apporter à toute question posée par les proches une réponse claire et complète, appuyée si possible sur des documents. Le service d’insertion et de probation peut également être sollicité par la famille et l’aider dans ses éventuelles démarches.
En pratique, il arrive que les proches d’un détenu décédé ne parviennent pas à obtenir les explications qu’ils demandent sur les circonstances du décès et que l’annonce de celui-ci leur soit faite en l’absence de toute précaution.
Article D.427 du Code de procédure pénale, circulaire DAP du 12 mai 1981

515-Comment les proches d’un détenu décédé peuvent-ils récupérer ses affaires personnelles ?
Les objets et valeurs conservés par l’établissement pénitentiaire après le décès d’un détenu doivent être remis à la personne présentant au chef d’établissement un certificat d’hérédité. Ce certificat est délivré par la mairie de la commune de résidence du défunt ou des héritiers, si la valeur des biens du détenu est inférieure à 35.000 francs-5.335 euros. Si la mairie refuse de délivrer un certificat d’hérédité, ce qu’elle est en droit de faire, ou si les biens et valeurs excèdent 35.000 francs-5.335 euros, l’hérédité sera établie par un certificat de notoriété délivré par un notaire ou un juge d’instance. Sur présentation d’un tel document, le chef d’établissement doit remettre les biens du détenu et conserver le document comme justificatif de la remise des effets aux héritiers.
Dans le cas où personne n’a réclamé les affaires d’un détenu dans un délai de trois ans après le décès, les objets sont remis à l’administration des domaines et les valeurs au Trésor public. L’administration pénitentiaire n’est dès lors plus responsable des biens au cas où une personne les réclamerait.
Article D.341 du Code de procédure pénale, note DAP du 13 février 1997

516-Qui a la charge des frais d’obsèques d’une personne décédée en prison ?
Les frais d’obsèques sont à la charge de la famille du détenu. Ils ne seront pris en charge par l’administration que dans l’hypothèse où aucune famille ou héritier ne se manifeste. L’inhumation a alors lieu dans la commune du lieu de décès sur la base du tarif le plus économique. Si l’héritier se manifeste ultérieurement, il devra rembourser l’administration des frais qu’elle aura engagés.
Les frais de transport de la dépouille du détenu peuvent par contre dans certains cas être assumés par l’administration, dans le cadre de l’aide aux indigents prévue à leur libération. Si le décès a eu lieu dans un établissement pénitentiaire ou hospitalier situé dans le ressort judiciaire dont relève la résidence habituelle du détenu, il n’y a pas de prise en charge de l’administration, sauf à titre exceptionnel quand la situation de la famille est particulièrement critique.
Si le décès a eu lieu dans un établissement situé hors du ressort judiciaire dont relève la résidence habituelle, l’administration peut prendre en charge les frais de transport du corps sur la base du tarif le plus économique et à la demande de la famille du défunt. Il faut cependant que la famille et les héritiers du défunt soient sans ressources (ce qui pourra être établi notamment par tout document fiscal) et le patrimoine du défunt insuffisant pour permettre cette prise en charge.
Article D.483 du Code de procédure pénale, note DAP du 3 septembre 1984

 

Rapport accablant sur les violences des gardiens contre un détenu aux Baumettes.
«Vous n'êtes pas au courant? Hier, Sylvain s'est pendu»

Par Dominique SIMONNOT
mardi 23 décembre 2003 - Journal Libération

Le 1er mars 2003, les parents de Sylvain C. l'attendent depuis un bon moment au parloir de la prison des Baumettes à Marseille (Bouches-du-Rhône). «On s'inquiétait, se souvient le père, jusqu'à ce qu'un détenu nous prévienne: "Vous n'êtes pas au courant ? Hier, Sylvain s'est pendu dans sa cellule. On l'a emmené." Sa mère et moi sommes devenus fous, personne ne nous avait rien dit.» Les parents ont tapé sur la porte du box, appelé les surveillants. Finalement, ils apprennent que leur fils, transporté à l'hôpital, a été ranimé après une tentative de suicide.

Transfert. Sylvain était arrivé aux Baumettes la nuit du 24 décembre 2002, transféré de la prison de Nîmes après une mutinerie. Il n'y avait pas participé, mais, comme souvent dans ces cas-là, l'administration ne «balluchonne» pas que les meneurs. Au début, Sylvain va bien, malgré une personnalité très fragile. C'est lui qui remonte le moral de ses parents, désespérés. «C'est notre fils unique, et il est en prison depuis juin 2000, soupire le père, Il a été condamné à quinze ans de prison, une très lourde peine. Il n'avait jamais eu d'ennuis auparavant.»

Puis, aux Baumettes, les choses tournent mal. Deux jours avant sa tentative de suicide, le 26 février, Sylvain fait l'objet d'un rapport pour «comportement agressif et insultes au personnel». C'est le début de graves dérapages. Ils ont abouti à la saisine de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) par Robert Bret, sénateur communiste des Bouches-du-Rhône. Des membres de la CNDS ont enquêté sur place. Leur rapport final, signé du président Pierre Truche, est très sévère pour l'administration pénitentiaire.

Ce 26 février 2003, donc, Sylvain attend devant la porte de la bibliothèque. «Dégagez», ordonnent trois surveillants. «Vous pouvez rester polis !» rétorque le jeune homme. Les choses s'enveniment. «Tu vas à la douche !» commandent les surveillants (1). Sylvain prend peur, tente de résister. «Ils m'ont fait avancer, un des surveillants m'a fait une clé de bras et m'a tiré par les cheveux. Dans les douches, ils m'ont entièrement déshabillé, menotté dans le dos et mis au sol. [...] Un autre m'a dit "tu es une sous-merde". Ils m'ont mis le visage contre le sol qui était très sale....» Quand le prisonnier se relève, il est «choqué, terrorisé». On l'envoie à l'infirmerie, il est renvoyé en cellule. «J'étais très mal. J'ai fait une tentative de suicide le 28 février. [...] Je suis resté à l'hôpital quelques jours. Quand je suis revenu en détention, j'ai senti une tension très forte de la part des surveillants, de l'agressivité.»

«Trouble». Les surveillants, quant à eux, affirment : «Ce détenu cherchant l'affrontement, j'ai décidé de le conduire à la douche, car son comportement risquait de créer un trouble important.» «Il a commencé à devenir agressif et à s'accrocher à la rampe. Nous avons été dans l'obligation d'utiliser la force strictement nécessaire (clé de bras) afin de conduire ce détenu dans les douches et de le fouiller intégralement pour assurer notre sécurité.»

L'histoire ne s'arrête pas là. Le 21 mars, Sylvain, malgré une évidente faiblesse psychique, est convoqué devant la commission de discipline, il doit y répondre de l'incident du 26 février. Il quitte sa cellule avec son paquetage «pour le cas où serait prise une décision de mise au quartier disciplinaire», notent les enquêteurs. Transportant quatre ballots, il traverse plusieurs bâtiments et monte six étages. La commission de discipline est ajournée pour complément d'information. Sylvain repart avec ses sacs. Fatigué, souffrant d'une luxation congénitale à la hanche, il demande à prendre le monte-charge. Refus. Il s'assied. La commission relève que des témoins, dont un avocat, avaient croisé Sylvain, «inerte, affalé sur ses paquets, en état d'épuisement». Voici ce qui est alors arrivé : «Plusieurs surveillants se sont précipités sur moi. J'ai reçu plusieurs coups, ils m'ont embarqué, menotté, tiré par les cheveux...» Il est emmené au mitard. Puis à l'infirmerie, d'où il est envoyé au service de psychiatrie pour être hospitalisé. Les enquêteurs de la CNDS relèvent, entre autres, les hématomes au visage.

Plainte. Le tout a donné lieu à de cinglantes recommandations de Pierre Truche. Sur les conditions de la fouille dans les douches, sur l'obligatoire avertissement aux familles d'une tentative de suicide. Ou sur le respect des procédures internes lors des commissions disciplinaires. Depuis, le détenu Sylvain C. a été transféré à Salon-de-Provence. Sous surveillance constante. Aidé de son avocat, Philippe Jacquemin, il s'apprête à déposer plainte pour violences.
(1) Extrait du rapport de la CNDS.

 

Un «droit de la prison inachevé»

L'affaire de Sylvain C. est révélée dans le prochain numéro de Dedans-Dehors, la revue de l'Observatoire international des prisons. «Ce type de bavures fait une nouvelle fois l'objet d'une reconnaissance officielle» de la Commission nationale de déontologie et de sécurité, y écrit l'association. Présidée par le charismatique Pierre Truche, la CNDS, créée en mars 2001, a pour mission de contrôler la police, la gendarmerie, les douanes et l'administration pénitentiaire. Composée de huit «sages», elle peut enquêter et présenter des recommandations aux responsables de l'institution inspectée. Mais elle ne peut pas prononcer de sanction et, pour la saisir, les particuliers doivent passer par un député ou un sénateur. En 2003, selon nos informations, une grande partie du rapport de la CNDS sera consacrée à des dysfonctionnements en prison. De fait, la CNDS commence à remplir le rôle de «contrôle extérieur, indépendant et transparent» des établissements pénitentiaires, préconisé en mars 2000 par le président de la Cour de cassation, Guy Canivet, et qui n'a jamais vu le jour. Dans le prologue de son rapport, Guy Canivet écrivait : «L'analyse juridique, confortée par de nombreux témoignages et écrits doctrinaux, nous montre que le droit de la prison, qui régit tous les aspects de la société carcérale, souffre de la double indétermination juridique, peut-être entretenue par l'exclusion, du lieu où il s'applique et du statut de la personne privée de liberté.» Regrettant un «droit de la prison inachevé», Guy Canivet remarquait : «Un contrôle extérieur n'est pas établi "contre" l'institution pénitentiaire, mais "pour" l'instauration de prisons dignes d'une démocratie.»

© Libération


 


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