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L E S  M I N E U R S  I N C A R C É R É S  


               Pour les magistrats, le personnel pénitentiaire, les éducateurs en charge des mineurs, l’incarcération d’un mineur apparaît comme l’ultime recours face à la violence. Aussi est-elle fréquemment vécue comme un échec de la prévention et du travail éducatif. Alors que l’emprisonnement devrait constituer une exception, dès l’âge de 13 ans des mineurs peuvent être incarcérés pour des faits criminels. La Défenseure des Enfants a rappelé à maintes reprises que le traitement de la délinquance des enfants doit reposer sur les principes énoncés dans la Convention internationale sur les droits de l’enfant.

            Après une première investigation sur ce thème publiée dans son rapport d’activité 2001, la Défenseure des Enfants et des membres de son équipe ont visité, en 2004, une dizaine d’établissements pénitentiaires pour hommes ou femmes comprenant des secteurs ou des quartiers de mineurs. (On trouvera la liste en annexe.) Elle s’est entretenue avec des détenus, des représentants de l’administration centrale, des directeurs d’établissements pénitentiaires, des membres du personnel pénitentiaire et tout particulièrement des responsables et des surveillants de ces quartiers de mineurs, des personnels du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), du service de santé mentale, de l’Éducation nationale, des animateurs d’activités socioculturelles et, lorsqu’il y avait lieu, des personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) intervenant dans l’établissement ainsi qu’avec différentes associations.

            La politique pénale à l’égard des mineurs et ses applications font actuellement l’objet de réflexions et débats.

            Le nombre de mineurs incarcérés est en diminution : 895 mineurs au 1° juin 2002 et 751 au 1e r juillet 2004. Les détenus de moins de 18 ans représentaient alors 1,17 % de l’ensemble de la population pénale, elle-même en forte augmentation (63 652 personnes au 1er juillet 2004, pour 49 595 places). Il s’agit presque uniquement de mineurs masculins : 721 garçons dont 57 âgés de moins de 16 ans et 30 jeunes filles 175 dont 3 âgées de moins de 16 ans. Cette tendance ne doit pas masquer des « pics » de surpopulation qui empêchent un encellulement individuel et contraignent parfois à bloquer pour les mineurs des cellules dans le secteur adulte, contrevenant ainsi à la stricte séparation entre ces deux groupes.

            La proportion de mineurs en détention provisoire (donc en attente de jugement) demeure élevée : 66 % en 2004 contre 70 % en 2000 et 77 % en 1998, mais s’atténue lentement (chez les adultes cette proportion est d’environ 34 %).

            La durée moyenne d’incarcération des mineurs est de deux à trois mois ; les incarcérations très brèves (quinze jours) augmentent, ayant fonction d’ultime signal d’alarme pour le jeune. Nombre de mineurs sont incarcérés pour des faits criminels (un tiers des mineurs détenus dans l’un des établissements visités).

            On commence toutefois à mesurer les effets des dispositions mises en oeuvre par la Chancellerie, à partir de 1999, pour remodeler le fonctionnement de la détention des mineurs, améliorer les locaux, encourager la création de petites unités d’accueil, augmenter le nombre et la formation d’intervenants spécialisés notamment des surveillants dits « référents », volontaires pour travailler auprès des mineurs, intensifier les activités éducatives ; ces principes sont rassemblés dans le Guide du travail auprès des mineurs en détention paru en 2001. S’y ajoute, depuis 2003, l’installation progressive d’équipes de la PJJ présentes de manière continue dans les établissements ; ces éducateurs (quatre personnes pour vingt mineurs) ont une mission de suivi individuel du jeune. La plupart de ces postes ont été créés spécifiquement et sont rattachés à un Centre d’action éducative extérieur à l’établissement pénitentiaire.

            Enfin, si des améliorations substantielles ont vu le jour dans les établissements, les contraintes architecturales continuent de jouer un rôle important dans les conditions matérielles et l’esprit de la prise en charge : espace réduit, humidité, vétusté, sanitaires collectifs, salles de sport restreintes, cours de promenade exposées à la pluie ou au soleil. L’encellulement individuel, théoriquement obligatoire, est peu respecté pour des raisons de surpeuplement ou afin d’éviter à ces jeunes une solitude que beaucoup ne supportent pas. Ainsi, peuvent cohabiter dans 9 m2 seulement deux adolescents souvent difficiles. De rares cellules doubles plus vastes ont pourtant été aménagées. Dans les quartiers de mineurs récents ou rénovés, les cellules disposent d’eau chaude et d’une douche, ce qui réduit notablement les incidents de mineurs entre eux ou entre mineurs et surveillants. I l faut noter les efforts manifestes du personnel pour assurer la sécurité des mineurs lorsque ces douches sont collectives ; les détenus de moins de 16 ans passent aux douches individuellement.

            L’éducation à l’hygiène est généralement un point fort du projet éducatif, l’installation croissante de lave-linge gratuits en fait partie. Le mineur assure lui-même la propreté de sa cellule sous le contrôle des surveillants ; la lutte contre les dégradations est active, parfois imaginative, toujours dans le but de responsabiliser ces jeunes ; ainsi, certains découvrent-ils les métiers du bâtiment en participant à une réfection de leur cellule.

            L’immense majorité de ces jeunes arrive en prison au terme d’un parcours délictuel varié, généralement marqué par la violence, le refus des règles élémentaires de la vie sociale et, pour certains, de leur méconnaissance. Rapports de force et passages à l’acte leur sont habituels. Ils cumulent les difficultés économiques, familiales, scolaires. Il n’est d’ailleurs pas rare que des mineurs relèvent des aides apportées aux détenus indigents. Un certain nombre de mineurs ont commis les actes qui les ont menés en prison sous l’empire de drogues ou de toxiques ou d’un état psychiatrique qui n’a été ni décelé ni soigné auparavant.

            Les jeunes détenus sont suivis par les médecins et les infirmiers de l’Unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa) ainsi que par les psychiatres, infirmiers et psychologues du service médicopsychologique régional (SMPR). Ces équipes dépendent des structures hospitalières locales et ont également la charge des adultes incarcérés. L’accent est mis sur l’éducation à la santé : lutte contre l’alcoolisme (certains sont déjà lourdement dépendants), le tabac, la toxicomanie, l’information sur la sexualité. La situation de pénurie générale qui caractérise la psychiatrie et la pédopsychiatrie retentit sur les disponibilités du SMPR.

            L’enquête précédente du Défenseur des Enfants (2001), les enquêtes des parlementaires (2000), de nombreux échanges avec différents professionnels ont souligné que, si les troubles gravissimes de la personnalité sont heureusement rares chez les mineurs incarcérés, une forte proportion d’entre eux souffre de difficultés psychologiques notables qui ont perturbé et perturbent leurs relations et leurs comportements. Parfois, celles-ci n’ont été ni détectées ni soignées auparavant. Ces difficultés, le plus souvent antérieures à l’incarcération, continuent de s’y manifester. Tous ces jeunes, loin s’en faut, ne peuvent bénéficier en détention de l’aide qui leur serait nécessaire dans l’immédiat et pour leur avenir. Leur méfiance à l’égard de telles approches, leur difficulté à se reconnaître comme demandeur d’une aide psychologique ne favorise pas le recours aux soins, rendu plus aléatoire encore par la position d’attente « de la demande » encore affirmée par quelques SMPR.

            Toutefois, malgré le nombre souvent insuffisant d’intervenants, d’autres équipes se montrent plus imaginatives dans leurs manières d’approcher ces jeunes et, par conséquent, plus proches et plus attentives. La présence de surveillants mieux formés à la compréhension des adolescents et d’éducateurs de la PJJ paraît contribuer à un meilleur repérage des difficultés temporaires ou déjà anciennes de ces jeunes. La pratique de l’accueil pluridisciplinaire personnalisé lors de l’incarcération est de plus en plus répandue.

            Assurer un enseignement scolaire aux mineurs incarcérés y compris aux plus de 16 ans dégagés de l’obligation scolaire se veut une réelle préoccupation (voir le rapport 2003 de la Défenseure). Elle bute cependant sur le recrutement d’enseignants qualifiés, notamment à partir du collège et pour les brevets d’étude professionnelle, sur la démotivation, les problèmes de concentration, d’agitation de ces jeunes et sur l’hétérogénéité de leurs niveaux scolaires. Ceux-ci, souvent, n’atteignent pas la fin du primaire, voire à peine le CE1, quand ils ne sont pas déscolarisés depuis plusieurs années ou presque illettrés. On ne peut que s’interroger sur la fonction que l’école a assurée dans leur vie... Les quelques heures d’étude dispensées durant une détention – heureusement – brève ne suffisent pas à remettre à flot un élève, tout juste lui font-elles découvrir que l’école serait attractive. Des acquis qu’il faudrait consolider après la libération du jeune. Parvenir à organiser dans les quartiers de mineurs de stages de découverte de métiers (cuisine, bâtiment, mécanique) mobilise une grande énergie.

            Les contraintes architecturales pèsent sur l’équipement des salles de sport qui sont maintenant courantes et très prisées. Le sport constitue un dérivatif puissant et une manière quasi thérapeutique d’expérimenter les règles du jeu, de prendre conscience du corps et de révéler des qualités inédites. Les mineurs bénéficient de la télévision gratuite dans leur cellule, presque partout interrompue à 23 heures, à la condition que le jeune assiste à l’école et ait un bon comportement. Les activités financées par les services d’ insertion et de probation visent à éduquer, socialiser et valoriser, par exemple par l’apprentissage du secourisme, de la partie théorique du Code de la route (cet examen peut être passé en prison), la création de radios internes, de musiques et de textes proches des « cultures urbaines ». Elles permettent une expression personnelle et par là d’aborder des thèmes délicats comme la violence, la culpabilité, le respect... Comme l’école, elles s’interrompent souvent durant l’été. L’un des changements récents les plus importants tient en l’installation progressive, elle se déroule jusqu’en 2005, d’équipes d’éducateurs de la PJJ dans les quartiers de mineurs (54 éducateurs en 2004). Présents toute la journée, ils y disposent d’un lieu spécifique et sont donc très repérables par les jeunes. Ils ont pour mission de suivre individuellement le mineur, en relation avec les autres intervenants, et de préparer d’une façon réaliste tant sa sortie que son soutien effectif durant la période qui suit sa libération afin qu’il puisse reprendre pied le plus sûrement possible. Toutes les observations montrant qu’il s’agit en effet d’une période aussi décisive que vulnérable. La présence de la PJJ dans les prisons nous a été signalée comme généralement positive pour le climat du quartier des mineurs ; cette intervention, progressive donc, de la PJJ en prison est en cours d’évaluation par la Chancellerie.

            Si ce renforcement d’une action spécialisée et pluridisciplinaire auprès des mineurs incarcérés se construit véritablement, dépassant ainsi la simple gestion de crise, une telle approche fournirait alors les moyens d’aider le jeune à se structurer en évitant que son incarcération soit pour lui un temps mort voire l’occasion d’aggraver son état antérieur.

            Les quartiers ou secteurs de taille modeste (moins de vingt places) paraissent plus réactifs et mieux adaptés à un suivi personnel des mineurs incarcérés.

            Le nombre de jeunes filles mineures incarcérées est réduit : trente au 1er juillet 2004 dont trois âgées de moins de 16 ans. Il n’existe aucun quartier spécifique pour ces mineures qui se trouvent donc incarcérées dans un quartier de femmes adultes avec un régime spécial. Cette proximité peut compliquer l’accès aux différentes activités, à l’école, au sport et contribuer à leur isolement au sein de la prison et à leur éloignement d’avec leur famille. D’autant que, prévenues ou condamnées, la plupart de ces jeunes filles sont incarcérées pour des faits graves et risquent donc de passer plusieurs mois ou plusieurs années en détention. Les responsables d’établissements et les chefs de détention constatent que beaucoup de ces jeunes filles incarcérées ont des comportements très violents – qui s’étaient d’ailleurs déjà manifestés avant leur incarcération et en étaient parfois la cause – qui rendent toute approche éducative avec elles très délicate aussi bien lors de leur détention que pour organiser leur libération.

            Parmi les futurs établissements pour mineurs en prison actuellement en cours de réalisation, un serait destiné aux jeunes filles. Celles-ci se trouvant alors regroupées en un seul lieu de détention, la question du maintien des liens avec leurs proches serait posée de manière cruciale. Malgré les difficultés qu’ils rencontrent, les quartiers de mineurs présentent des conditions de détention généralement plus respectueuses de l’individu que les quartiers des hommes adultes, particulièrement en maison d’arrêt. Le nombre d’encadrants (surveillants, éducateurs PJJ) régulièrement présents toute la journée auprès des mineurs, environ deux à trois personnes pour une vingtaine de mineurs, est – heureusement – sans commune mesure avec les conditions d’incarcération faites aux adultes dans les maisons d’arrêt : un surveillant pour quatre-vingt-dix adultes, ou même, un surveillant pour cent vingt détenus, confinés à trois par cellule, au quartier hommes des Baumettes en juin 2004.

            Néanmoins, la faiblesse de l’encadrement la nuit reste préoccupante pour la sécurité des jeunes. Il serait également judicieux d’étendre à tous les quartiers de mineurs les actions de prévention du suicide amorcées auprès des adultes dans quelques établissements. On ne saurait donc se montrer trop attentif au devenir des mineurs incarcérés, qui, atteignant leur majorité, sont alors incarcérés avec des adultes dans des conditions que des représentants de l’administration pénitentiaire qualifient eux-mêmes de « jungle ». Le nombre limité de quartiers de mineurs oblige fréquemment à éloigner les jeunes détenus de leur famille et de leurs proches, compromettant ainsi le maintien de liens affectifs indispensables à l’équilibre de toute personne détenue. Certains jeunes détenus dont les relations avec leur famille étaient très distendues ou très conflictuelles avant même leur incarcération vivent souvent celle-ci dans une grande solitude, la famille se désintéressant de leur situation ce qui est particulièrement problématique au moment de leur libération. On regrette à nouveau que les aménagements de peine demeurent trop réduits. Le manque de structures de semi-liberté spécifiques aux mineurs et les insuffisances d’accompagnement après la sortie de prison n’y contribuent guère. Quant aux alternatives à l’incarcération, des habitudes mentales et administratives tenaces continuent de freiner leur développement. Par ailleurs, le fonctionnement des futurs établissements pour mineurs en prison prévus pour 2006 semble encore mal défini. De même, en matière d’application des peines, les effets pour les mineurs du transfert de compétences du juge d’application des peines au juge des enfants (loi Perben de mars 2004) restent à observer.

 

(Extrait du Rapport Annuel du Défenseur des Enfants au Président de la République et au Parlement - Année 2004 -   www.defenseurdesenfants.fr )

 

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