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LE MAINTIEN DES LIENS FAMILIAUX EN PRISON

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La vie de couple et de famille

L'incarcération fragilise les liens familiaux : l'absence de conjoint touche 60 % des détenus. Dans la moitié des cas, la séparation a eu lieu dans le mois qui a suivi l'incarcération. 80 % des hommes incarcérés depuis 5 ans n'ont pas de conjointe.

La séparation s'impose également à leurs proches : ainsi 51 500 enfants mineurs vivent sans leur père ou beau-père. L' âge moyen de ces enfants est de 16 ans. Parmi eux, un sur cinq a moins de 6 ans.
(Enquête INSEE)

320 000 adultes en France sont concernés par la détention d'un proche. 20 000 femmes ont un conjoint détenu.
(Enquête INSEE)

Le maintien des liens familiaux est favorisé en détention par les services pénitentiaires et à l'extérieur de la prison par les associations : 55 salles d'attente intra-muros, 134 structures d'accueil des familles en attente de parloirs aux abords des établissements, 25 structures d'hébergement pour les familles venant de loin.
(Ministère de la Justice)

Les relais enfants-parents

Ils existent depuis 1985. L'objectif de ces relais est de maintenir le lien affectif entre un enfant et ses parents dans les diverses circonstances où il est menacé et de sauvegarder un équilibre psychologique.

Des équipes de bénévoles spécifiquement formés et encadrés et des professionnels de la petite enfance accompagnent des enfants sur le lieu où leur parent est détenu ou hospitalisé. 16 relais enfants-parents en France.
  • Adresse nationale :    

Les relais enfants-parents
Accueil des familles de détenu
Responsable : Marie-France Blanco
Tél : 01 46 56 79 40
4 rue Charles Floquet
92 120 Montrouge 

  • RELAIS ENFANTS-PARENTS BOURGOGNE

    37 boulevard Vauban – 89000 AUXERRE
    03.86.46.60.79

    · Animation espaces enfants dans les parloirs
    · Ateliers pour les parents en détention
    · Entretiens individuels pour les parents incarcérés
    · Accompagnements d'enfants auprès de son parent détenu en vue d'un parloir éducatif

    Horaires d'ouverture au public :
    Permanence téléphonique tous les jours du lundi au vendredi de 10h à 12h et de 14h à 16h
    Personne(s) ressources à contacter :
    Fabienne
    MARLIERE
    03.86.46.60.79
  • RELAIS ENFANTS-PARENTS RHONE-ALPES
REP Région lyonnaise
20 bis av. Félix Faure
69007 LYON
tél. 04 72 60 97 60

 

>>>>>>  Interview de Marie-France Blanco

Marie-France Blanco est la fondatrice et l'actuelle présidente des relais enfants-parents qui aident à maintenir le lien entre l'enfant et son parent détenu. Elle a participé à plusieurs livres sur la relation entre les prisonniers et leurs proches : "Les liens familiaux à l'épreuve du pénal", publié en 2001 aux éditions Erès, et "L'enfant et son parent incarcéré", chez le même éditeur en 2003. Elle explique comment le lien se transforme entre les prisonniers et leur entourage, elle précise pourquoi il est nécessaire qu'un enfant aille voir son parent incarcéré et elle fait le point sur ce qui se fait en France pour favoriser le maintien de ce fameux lien.

L'enfant et son parent incarcéré
Collectif, Erès, 2003.

Etat de la situation
La place de l'enfant à la nurserie de Fleury-Mérogis
Les enfants auprès de leur mère incarcérée
L'enfant de moins de trois ans et son parent incarcéré
Le maintien des liens parentaux : les enjeux pour l'administration pénitentiaire
Finalité et modalités de l'accompagnement de l'enfant au parloir
L'abord de la parentalité chez le père incarcéré
Le maintien du lien enfants-parents : de nouvelles pratiques sociales


Un lien forcément rompu
Il y a 65 000 personnes incarcérées en France, dont 4 % sont des femmes. Le lien entre une personne emprisonnée et son proche n'est forcément plus le même qu'avant l'incarcération. La prison change forcément la relation que l'on avait avant avec son conjoint, son père, sa mère, son frère. La première raison qui explique la transformation de ce lien, c'est la raison pour laquelle le proche est en prison. Si vous êtes en prison pour un crime, pour un agression sexuelle ou pour un délit divers, vos proches ne vont pas réagir de la même façon. Dans le cas d'un crime, même la personne qui vous est le plus proche va avoir du mal à vous reconnaître dans son lien affectif. On entend tout le temps : "Ce n'est pas possible que ce soit mon mari (mon enfant), je ne pensais pas qu'il serait capable de faire ça". Quoiqu'il en soit, le lien existant se transforme, on doit communiquer autrement. Ce n'est forcément plus la même chose, puisque la relation est hachée, ce n'est plus du quotidien. On doit donner en une heure tout ce qu'on pourrait donner. Est-ce vraiment possible ?

Comment expliquer la prison aux enfants ?
Il faut maintenir le lien entre un enfant et son parent incarcéré. Même si on peut imaginer que c'est dur, difficile pour un enfant de se rendre dans une prison, il vaut mieux qu'il voit son père ou sa mère parce que justement c'est son père ou sa mère. C'est son origine, c'est son histoire. On a besoin de ses parents pour grandir. Si on veut devenir un adulte responsable, il faut avoir des liens avec ses parents, même si c'est pour les défaire ensuite. Si on veut éviter de reproduire l'histoire, il faut la connaître cette histoire. Aux Etats-Unis, 30 % des enfants de détenus vont en prison à leur tour. Bref, il faut dire la vérité à un enfant dont le père est en prison. Il faut lui expliquer que son papa a fait une bêtise, que dans la société il y a des règles, comme à l'école. A l'école, si on fait une bêtise, la maîtresse te met au coin, on t'isole, tu réfléchis et après tu reviens. La prison c'est pareil. Il faut essayer d'expliquer avec des mots simples, mais vraiment il faut leur dire, même quand ils sont tout petits. Quand on va au parloir, il ne faut pas faire croire à l'enfant que c'est là que son père travaille, que les policiers sont des salauds, il faut mettre des mots sur les choses. Ce qui est traumatisant pour l'enfant lorsqu'il va au parloir, c'est l'attente, c'est ce que les autres disent autour, c'est là qu'il faut essayer de le préserver. C'est ce qu'on essaie de faire dans les relais parents-enfants. Le parloir, ce n'est pas seulement pour faire plaisir au détenu, c'est avant tout pour maintenir le lien. Donc il ne faut pas forcer un enfant à aller au parloir s'il ne le souhaite pas. Il arrive qu'un enfant se sente trahi par son père ou sa mère parce qu'il avait "promis de ne pas recommencer". Il faut lui laisser le choix.

Parloir : mode d'emploi
En ce qui concerne les tous petits, il est important pour le parent de donner à manger à l'enfant au cours du parloir. Car la fonction nourricière est la première fonction parentale. C'est un repère essentiel pour le petit comme pour le parent incarcéré. De même il ne faut pas hésiter à jouer avec son enfant pour maintenir une complicité. Pour les couples, il ne faut pas se priver des caresses et des contacts physiques. Il paraît évident qu'il faudrait instaurer les fameux parloirs intimes. Cela se fait déjà car les détenus ont un besoin énorme d'affection. Les prisonniers ont besoin de protection, de maternage et de contacts avec l'extérieur. Ce qui explique que des relations amicales ou amoureuses se nouent à travers la correspondance des détenus avec des personnes extérieures. Il arrive souvent également que les prisonniers aient des histoires d'amour avec ce que l'on appelle les visiteur(euse)s de prison. Est-ce que cela tient après ? Je ne sais pas.

Le couple à l'épreuve de la prison
C'est probablement pour les couples que le lien est le plus compliqué à maintenir. Bien entendu, cela dépend essentiellement de la nature du lien avant l'incarcération. Il est rare que les liens se resserrent au cours de l'emprisonnement, mais on a compté tout de même 430 mariages en prison en 2002. A l'inverse, il arrive qu'il y ait des ruptures totales. On n'a pas de chiffres fiables en France, mais pour donner une idée, en Angleterre, 1 couple sur 2 se sépare après 1 an de détention. Le problème est que bien souvent le détenu est totalement tourné sur lui-même - ce qui en soi se comprend - , mais du coup, il ne prête vraiment plus attention à sa conjointe. Il oriente les parloirs uniquement sur ce qu'il vit lui et n'accepte pas forcément que la vie continue dehors. La femme n'ose plus dire à son mari tous les petits plaisirs qu'elle a, elle culpabilise d'en avoir.
Bien souvent, le détenu lui demande uniquement de s'occuper de l'affaire, de voir l'avocat, tout tourne autour de lui et la relation se détériore forcément. Autre cas de figure : cela peut tenir le temps de l'incarcération et totalement craqué à la sortie. Le retour à la maison est souvent compliqué pour les détenus, surtout dans le cas des longues peines. La famille a mis du temps à trouver ses marques, mais elle a fini par prendre ses habitudes pendant l'emprisonnement du père par exemple. L'ordre familial est donc de nouveau bouleversé lorsque papa revient. Il gène, il n'est plus écouté, il n'a plus d'autorité sur les enfants.

Double peine pour les proches
Non seulement l'entourage doit assumer d'avoir un proche en prison, entendre les réflexions, essuyer le jugement des autres à l'extérieur. Mais souvent il culpabilise justement d'être à l'extérieur alors que leur mari, leur fils ou leur frère est enfermé. Il y a une très forte culpabilité chez les proches. Parfois c'est difficile pour eux de replacer les choses et de se dire que l'autre est coupable. Parfois on a le sentiment que les proches purgent une peine eux aussi. D'autant que les détenus sont souvent exigeants et souhaite voir leurs proches le plus souvent possible. Je me souviens d'une mère qui voulait que sa fille vienne la voir toutes les semaines. La gamine n'en pouvait plus. Elle n'avait que 20 ans. Je lui disais "laissez-la respirer !". Je crois que les détenus ont tendance à oublier leur proche. Notre rôle en tant que relais est de dire aux familles de se préserver, de faire attention, que la prison les dévore. On dit souvent qu'on est en admiration pour les femmes qui viennent voir leur mari 3 fois par semaine. On les appelle les "mères courages", mais attention, elles sont tout aussi fragiles ! Elles doivent penser à elles avant tout pour tenir le coup et pour pouvoir aider la personne incarcérée.

Les structures existantes et manquantes
En France, il existe 16 relais enfants-parents pour aider les enfants à rester en contact avec leur parent incarcéré. Il existe 1 seule unité de vie familiale (les familles peuvent se retrouver quelques heures dans des pièces plus agréables que les parloirs), à la prison de Rennes. En dehors de cela, il n'y a pas de structures officielles en France pour maintenir le lien entre un détenu et ses proches. En Italie, en Angleterre et en Espagne, ces unités sont beaucoup plus répandues et fonctionnent bien. Elles sont en général réservées aux moyennes ou longues peines. Les familles se retrouvent dans des appartements. Cela permet de reconstruire le lien progressivement s'il a été détérioré. La France est le seul pays de l'Union européenne à ne pas disposer de parloirs intimes autorisés, même si dans les faits ils existent bel et bien, vu le nombre de bébés parloirs qui en découlent ! (nous n'avons pas de chiffres).

Omerta familiale
Les proches de détenus ont souvent du mal à parler de la situation de leur parent incarcéré. Bien souvent, au sein d'une même famille, les liens avec le détenu sont différents : une personne peut refuser d'aller voir son frère, alors que sa petit sœur ressentira le besoin d'y aller. Cela dépend essentiellement de la relation que l'on avait avec la personne avant l'incarcération. D'ailleurs dans la famille, on ne parvient pas toujours à parler de celui qui est en prison, il y a parfois un tabou car il préoccupe déjà beaucoup ! Il est très fréquent que les proches de détenus trouvent un réconfort auprès de relations amicales, plus qu'au sein de leur famille. Les enfants de détenus, eux, vont juger bon d'en parler ou pas autour d'eux. Les enfants ont un instinct et une intuition qui leur permet de savoir à qui ils peuvent en parler ou pas. c'est toujours la même chose : il ne faut pas forcer la main et ne pas forcer l'enfant à en parler s'il ne le souhaite pas.

("Ca se discute" - Émission TV J.Luc Delarue)

 

Les Unités de Visite Familiale en France (UEVF)

Le 26 septembre 2003, les UEVF du centre pénitentiaire de Rennes ont accueilli les premières rencontres prolongées en détention d'une personne détenue avec plusieurs membres de sa famille.

A l'instar d'autres pays (Danemark, Ecosse, Finlande, Pays-Bas, Suisse, Espagne, Canada) où ils sont pratiqués, l'administration pénitentiaire française a souhaité expérimenter ces dispositifs qui permettent aux personnes incarcérées de rencontrer leur famille et de partager des moments d'intimité, durant plusieurs heures sans surveillance.

L'ouverture, à titre expérimental, d'Unités de visite familiale au sein de 3 établissements pénitentiaires en France, sites pilotes, (maisons centrales de Poissy, de Saint-Martin-de-Ré et centre pénitentiaire de Rennes) s'inscrit dans le cadre de la politique mise en oeuvre par l'administration pénitentiaire en matière de maintien des liens familiaux.

L'implantation de ces UEVF offrent aux personnes détenues condamnées la possibilité de recevoir les membres de leur famille de 6 à 48 heures (et 72 heures une fois par an) dans des conditions matérielles, de durée et d'intimité satisfaisantes.

Il s'agit pour l'administration pénitentiaire, de permettre la création ou le développement de projets familiaux en vue de la réinsertion des personnes détenues mais aussi de répondre aux besoins qu'ont les familles de préserver des liens avec les personnes incarcérées.

Peuvent demander un accès en UEVF
- les membres de la famille proche, justifiant d'un lien de parenté juridiquement établi ;
- les membres de la famille élargie, justifiant d'un lien de parenté juridiquement établi ;
- les personnes ne justifiant pas d'un lien de parenté juridiquement établi mais pour lesquelles un ensemble d'indices sérieux permet d'attester d'un véritable et solide lien affectif avec la personne incarcérée.
Pour pouvoir prétendre à un accès en UEVF, les personnes détenues ne doivent pas bénéficier de permissions de sortir ou d'autre aménagement de peine garantissant le maintien des liens familiaux. Ils doivent, en outre, être condamnés définitifs et affectés dans l'un des trois sites expérimentaux.

Les visiteurs et les personnes détenues souhaitant obtenir une autorisation d'accès à une Unité expérimentale de visite familiale devront adresser une demande écrite au chef d'établissement.

Lorsque l'accès à une UEVF est sollicité, ces demandes donnent systématiquement lieu à un entretien préalable mené par un personnel socio-éducatif du SPIP avec les visiteurs ainsi qu'un entretien avec la personne détenue. Le chef d'établissement prend sa décision après consultation des avis écrits du directeur du SPIP et du chef de détention ou de leurs représentants.
(Ministère de la Justice)

Les Visites Familiales Privées au Canada (VFP)

Lorsqu'ils satisfont à certains critères, les détenus peuvent avoir accès à des unités spéciales situées dans l'enceinte d'un établissement correctionnel. La plupart des unités comportent deux chambres et une aire regroupant la cuisine et le salon.

Normalement, la fréquence et la durée maximales des visites familiales privées sont de 72 heures une fois tous les deux mois. Toutefois, le directeur de l'établissement peut, s'il le juge à propos, en modifier la fréquence ou la durée selon la disponibilité des unités et le nombre de détenus y participant.
(Publication du Service Correctionnel du Canada, 2004)

Expérimentées dès 1980 au Canada, les visites familiales privées s'organisent dans un pavillon ou mobil-home situé hors détention mais sur le site pénitentiaire, permettant aux détenus non bénéficiaires d'autorisation de sortir de rencontrer les membres de leur famille (père, mère, enfants, conjoint, concubin, frères et sœurs) ou des proches avec lesquels ils ont démontré des relations étroites et stables, sans surveillance pénitentiaire directe.
(Ministère de la Justice)

 

UNE TÂCHE ARDUE , MAINTENIR  LES LIENS FAMILIAUX

 

            L’incarcération perturbe bien entendu les relations affectives dans les familles et entraîne fréquemment des ruptures douloureuses et durables. Une enquête de l’Insee en 2002 indiquait que plus de 70 000 enfants parmi lesquels 73 % sont des mineurs, ont un père ou un beau-père incarcéré.

            Rappelons qu’au 1er juillet 2004, l’administration pénitentiaire dénombrait 63 652 personnes détenues, dont 96,2 % sont des hommes. La Défenseure des Enfants, à laquelle un détenu peut écrire sous pli fermé, a été saisie de plusieurs cas pour lesquels les contacts entre un mineur ou un parent incarcéré et sa famille ont été très difficiles. Ils représentent 2 % des dossiers traités par l’Institution cette année.

            En matière de maintien des liens avec la famille, le Code de procédure pénale indique : « il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration des relations [des détenus] avec leurs proches pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres. » L’affirmation selon laquelle le maintien des liens familiaux agit favorablement sur le comportement actuel (un facteur d’apaisement) et futur (un élément de réinsertion) du détenu semble se diffuser au sein de l’administration pénitentiaire, maître d’œuvre en la matière. Par exemple, en 2000, la direction de l’Administration pénitentiaire a rédigé une circulaire rappelant l’importance de l’exercice de l’autorité parentale pour un parent détenu et précisant les possibilités laissées aux personnes incarcérées pour le concrétiser, notamment pour la signature du livret scolaire (il était difficile pour la famille de transmettre directement ce livret au détenu lors d’une visite) et, en 2003, elle a rédigé une note recommandant aux chefs d’établissements d’étudier les possibilités laissées aux personnes détenues pour remettre un cadeau en main propre à leur enfant venu les voir. Cet objectif de maintien des liens familiaux se concrétise aussi par le soutien apporté aux différentes associations accueillant familles et enfants à l’extérieur de la prison ; enfin, il mobilise 13 % des subventions allouées au secteur associatif des services pénitentiaires. 

            Plusieurs obstacles demeurent cependant, dont le premier tient à la considérable surpopulation des maisons d’arrêt ; y sont incarcérées, dans des conditions souvent indignes (trois adultes, parfois quatre, dans une cellule de 9 m2 équipée de sanitaires rudimentaires), des personnes en détention provisoire et des condamnés à de courtes peines. La surpopulation commence également à concerner les quartiers de femmes et, on l’a vu, irrégulièrement les quartiers de mineurs. Ces conditions plus que pénibles influent sur le comportement et le moral des détenus et peuvent pousser certains à idéaliser leur famille et leurs enfants. Le système des affectations des détenus entre les établissements pratiqué par l’administration pénitentiaire qui se préoccupe médiocrement des contraintes familiales est constamment mis en cause. Il n’est pas rare qu’un transfert dans un lieu de détention éloigné de la famille ait valeur de sanction ou qu’il se produise sans que la famille en soit avertie auparavant.

            Le statut du détenu, soit en détention provisoire soit condamné, régit les autorisations de visites et leur fréquence. Le surpeuplement généralisé a provoqué d’importantes listes d’attente de visites ; de plus, le système de réservation électronique pour les prochains « parloirs » semble engendrer une certaine confusion. Certes, des efforts ont été consentis pour la réalisation de lieux de visite plus convenables dans les établissements neufs ou pour l’amélioration de locaux plus anciens et souvent vétustes. Cependant, la plupart de ces parloirs restent exigus, sombres, peu aérés, exposés à la chaleur ou au froid (plafond sous forme de verrière par exemple). Il est apparu qu’un établissement avait encore un muret fixe de séparation entre le détenu et le visiteur pourtant supprimé par le règlement depuis 1983. Le « parloir hygiaphone » avec mur complet de séparation fait encore partie des sanctions disciplinaires. La configuration, l’équipement des parloirs restent très généralement inadaptés à la présence d’enfants venus dans le cadre des visites ordinaires des familles. L’administration pénitentiaire indique que l’aménagement de parloirs adaptés à l’accueil des enfants est un des objectifs de l’année 2004.

            Les salles où les détenus attendent avant ou après la visite sont généralement plus que médiocres. Situées dans l’établissement, les salles d’attente de parloir destinées aux familles et devant accueillir des personnes de tous les âges, restent rudimentaires : manque de places assises (même dans un établissement ouvert en 2003), de toilettes, d’aération.

            Après chaque visite, la fouille à corps du détenu (entièrement nu) est pratiquée hors de la vue de la famille tandis que celle-ci doit attendre son résultat pour quitter les lieux.

            Un tiers de tous les établissements n’est pas accessible par les transports en commun les jours de visites, relevait en 2001 l’Uframa (Union nationale des fédérations des associations et maisons d’accueil des familles et des proches de personnes incarcérées) qui regroupe 67 associations. Les établissements récents ne font guère exception. L’action d’une association de familles de détenus a cependant fait améliorer la desserte par bus d’un établissement neuf (Avignon-le-Pontet).

            Le permis de visite à une personne en détention provisoire est octroyé par le juge d’instruction qui, en cas de refus, doit motiver sa décision. L’attribution d’un permis de visite à un mineur, enfant de détenu, étant donc de l’appréciation exclusive du juge, cela génère des pratiques hétérogènes et discriminantes selon les convictions qui guident chaque magistrat. Pour les détenus condamnés c’est le chef d’établissement qui délivre cette autorisation. Il lui arrive d’avoir à signer plusieurs dizaines d’autorisations chaque semaine, sans avoir la possibilité, comme certains le déplorent, de mieux connaître la situation du détenu et de sa famille.

            Certains n’hésitent pas à prendre l’avis des travailleurs sociaux de l’établissement pour les cas délicats. L’incarcération d’un parent peut contraindre à confier temporairement les enfants à l’Aide sociale à l’enfance. Si le juge n’a rien spécifié de particulier à propos des contacts parent enfant, le maintien des liens est soumis à la complète discrétion de chaque service départemental de l’Ase. Pour une personne détenue, exercer ses droits de parent reste laborieux. Dans les décisions concernant l’enfant qui réclament l’aval des deux parents, son avis est souvent court-circuité (choix médicaux ou scolaires par exemple). Lorsqu’un juge pour enfant est amené à prendre des mesures éducatives pour un enfant et qu’il doit entendre les deux parents, l’extraction du détenu et les conditions de sa rencontre avec son enfant sont si compliquées à réaliser que beaucoup y renoncent. De plus, un parent détenu est souvent considéré par les services sociaux d’aide à l’enfance comme un interlocuteur peu valable. L’application de la loi de juin 2000 permettant la libération conditionnelle fondée sur l’exercice de l’autorité parentale si le reliquat de peine est inférieur à quatre ans paraît peu connue et peu appliquée. Les magistrats recommandent, avec raison, d’examiner la réalité des liens antérieurs et d’évaluer le bénéfice que l’enfant tirera de la présence du parent.

            Le fonctionnement expérimental des unités de vie familiale a débuté en trois lieux. La Défenseure des Enfants a visité celle de la maison centrale pour femmes de Rennes.

            Ces unités ne sont pas accessibles à tous les détenus mais sont réservées à ceux qui ne peuvent avoir d’aménagement de peine. L’autorisation de longues rencontres (actuellement de 6 à 48 heures) est du ressort du directeur de l’établissement. Visiteurs et visité se retrouvent ensemble dans un petit appartement bien aménagé, sans surveillance directe, ce qui, sans aucun doute, permet de solidifier des liens familiaux. Néanmoins les conditions de confinement de ces rencontres réclament une préparation des deux parties. Plusieurs associations se sont créées il y a une dizaine d’années afin de porter la voix des personnes détenues et de leurs familles et de favoriser le maintien des liens familiaux, toutefois, en faisant preuve pour une minorité d’entre elles d’un professionnalisme inégal. Au fil des années, la plupart sont devenues des partenaires reconnus et subventionnés des interlocuteurs publics. Avec l’appui de l’administration pénitentiaire et, parfois, le soutien d’associations caritatives (ainsi du Secours catholique), elles ont installé et animent avec des bénévoles et de rares professionnels des lieux d’accueil et de parole qui sont aussi des lieux de soutien à la parentalité. Il en est ainsi de l’Uframa, des associations Avec (Strasbourg), Apres (Amiens), de certains relais enfant-parent comme ceux de Paca et grand ouest, qui mènent une action d’écoute et de soutien discrète et exemplaire. L’incarcération d’un parent reste encore difficile à dire à son enfant et, des psychologues exerçant dans ces associations au contact des familles, relèvent ainsi que près d’un tiers des jeunes enfants n’a pas été averti de cette incarcération ; bien des mères pensent aussi que l’enfant ne sait pas la réalité de la situation alors qu’il l’accompagne jusqu’aux portes de la prison et va l’attendre ensuite dans les locaux d’une telle association. 

            Dans plusieurs établissements, les associations ont obtenu un espace de visite destiné aux enfants, plus spacieux et mieux aménagé qu’un parloir ordinaire où, à la demande du parent détenu un membre de l’association (ou plus rarement un représentant de l’Ase) conduit l’enfant pour une visite plus longue et plus confortable. Les locaux du quartier femmes des Baumettes sont, en ce sens, une réalisation exemplaire. Cependant, en instaurant ainsi un double circuit de rencontres entre parent et enfant dans des conditions très privilégiées par rapport aux conditions de visites usuelles des familles, en bloquant un local agréable et bien adapté au seul bénéfice d’une association qui en fait un usage irrégulier, cet accompagnement d’enfant – au demeurant légitime – a fini par créer des inégalités inacceptables entre les familles d’un même établissement ; et même entre les établissements selon qu’une telle association y intervient ou non. Ainsi, au cours de ses visites dans les maisons d’arrêt, qui se sont toutes déroulées pendant des périodes de parloirs, l’équipe du Défenseur des Enfants n’a en effet vu que très rarement ces locaux spécifiques et agréables utilisés pour des rencontres entre un parent et son enfant conduit là par des intervenants extérieurs.

            Par ailleurs, l’insistance à revendiquer le droit systématique pour l’enfant de rencontrer son parent détenu, que proclament certaines de ces associations, a pu occulter la nécessité de maintenir au premier plan l’intérêt de l’enfant et, par conséquent, de considérer les effets que peuvent avoir ces visites sur certains enfants. Dans tous les cas, la poursuite de relations entre des enfants et leur parent auteur de crime, qu’ils en aient ou non été victimes, ou encore avec un parent manifestant des troubles psychologiques, ne devrait être décidée qu’avec une très grande circonspection, à la suite d’une étude pluridisciplinaire au cas par cas par différents intervenants et, bien entendu, après avoir demandé son propre avis à l’enfant. Cette appréciation étant, bien évidemment évolutive.

            L’importance de ces enjeux pour l’enfant, pour son équilibre affectif présent et futur, la diversité des procédures d’obtention d’autorisation de visite, les incertitudes tout autant que les opinions catégoriques qui entourent les modalités de contact entre un enfant et son parent détenu, impliquent naturellement que soit réaffirmé le besoin de maintenir des liens familiaux mais que les conditions de ce maintien soient examinées à plusieurs voix et en gardant toujours à l’esprit l’intérêt de l’enfant. 

Proposition

            Les observations et analyses recueillies au cours des travaux menés sur ce dossier permettent à la Défenseure des Enfants de formuler la proposition détaillée ci-dessous : ¦ Afin de favoriser les relations entre les personnes détenues et leur famille, mettre en place rapidement une politique d’ensemble permettant un véritable maintien des liens, notamment en améliorant les conditions matérielles des visites (lieux de visites, lieux d’attente à l’intérieur de l’établissement). Ainsi, utiliser tous les lieux de visite parent-enfant existant dans l’établissement. Cela aurait pour effet de démultiplier les rencontres dans un cadre adapté aux familles. Enfin, certains cas complexes (âge de l’enfant, nature des faits, personnalité du parent détenu, configuration familiale, etc.) rendent indispensable l’instauration d’une évaluation pluridisciplinaire des demandes de rencontres entre l’enfant et le parent détenu, émanant des personnes détenues, de l’enfant ou de sa famille. Une telle évaluation contribuerait à déterminer si et comment, l’enfant, la personne détenue, la famille sont en mesure de supporter la réalité de cette rencontre et ses effets potentiels.

(Extrait du Rapport Annuel du Défenseur des Enfants au Président de la République et au Parlement - Année 2004 -   www.defenseurdesenfants.fr )


 

« La situation française est désastreuse »


Un entretien avec le psychologue* Jacques Lesage de La Haye.

Il défend depuis vingt-cinq ans le droit des prisonniers à une vie familiale, convaincu qu'elle peut être un pivot pour leur réinsertion.

Quelle importance un parent détenu accorde-t-il à son enfant ?

Les parents qui viennent dans nos groupes de parole sont dans une souffrance extrême et parlent presque exclusivement de leurs enfants. Pour certains, la séparation brutale réveille quelque chose qui peut les amener à créer un lien qu'ils ne ressentaient pas, ou à ressouder un lien qui s'était distendu. Dès lors, leur souffrance devient terrible parce qu'ils se responsabilisent, ils prennent conscience du fait qu'ils sont pères et commencent à se dire : « Je n'ai pas fait ce que je devais avec mon enfant ». Puis ils décident de s'en occuper très sérieusement. Dans un des groupes de Bois d'Arcy, encadré par mon collègue Pascal Matra, un prisonnier a fait une prise de conscience absolument remarquable. Lors d'une réunion de synthèse, il nous a dit : « Avant d'entrer en prison, seuls comptaient pour moi les copains, avec qui je faisais mes coups. Mes enfants n'avaient pas d'importance. Le travail que j'ai fait m'a amené à prendre conscience de l'existence de mes enfants et même de leur importance. Quand je sortirai, mes enfants seront ma priorité. Les copains et toutes les erreurs que j'ai commises ne compteront plus ».

Le rôle d'un enfant pour la réinsertion de son parent libéré peut donc être énorme ?

Oui. Parce que certains, qui ont tendance à vivre comme des immatures, c'est-à-dire comme des adultes qui n'ont pas conscience de cette responsabilité, se mettent à « grandir » pendant leur incarcération. Ils font souvent un travail sur eux-mêmes et s'interrogent sur ce qu'ils étaient avant de passer la porte de la prison. Il faut dire qu'ils vivaient dans une telle précarité économique et sociale que la délinquance pouvait leur apparaître comme le seul moyen de s'en sortir. Mais l'enfant les amène à une sorte de responsabilité qui va les pousser à chercher d'autres solutions.

Ce lien enfant-parent détenu est-il valorisé par l'institution pénitentiaire ?

En général, les services sociaux et éducatifs valorisent cette relation. Ils considèrent même que cela s'inscrit dans un processus d'insertion ou de réinsertion. Le malheur c'est que les gens qui sont concernés par ces problèmes-là, éducateurs, assistantes sociales, médecins, sont en nombre totalement insuffisant. Ce sont des gens débordés qui n'arrivent pas à s'occuper des détenus comme ils le voudraient. Il arrive souvent que l'on compte un psychologue pour 400 détenus, un psychiatre pour 200 ou 400 détenus, un éducateur ou une assistante sociale pour 100 ou 200 détenus ! Un éducateur me disait un jour : « Ici nous sommes 4 éducateurs pour 400 détenus. Nous avons 100 détenus en charge chacun, moi je ne m'occupe que de 30 détenus », ce qui était déjà prodigieux ! Le détenu, confronté au manque et à l'absence de réponse, accuse les éducateurs et thérapeutes d'abandon. Il en résulte une incompréhension totale, née d'une insuffisance de moyens.


Les infrastructures pénitentiaires sont-elles encourageantes pour la relation enfant-parent ?
Les conditions d'accueil des familles et des enfants de détenus sont déplorables, je dirais même que c'est un désastre. Des enfants et une mère se retrouvent dans un misérable placard, avec en plus, selon les cas, une table ou un muret de séparation à mi-hauteur. Dans certains établissements, quelques améliorations ont été apportées. Mais en règle générale, c'est une véritable catastrophe. On arrive d'ailleurs à un paradoxe assez étonnant. Dans les établissements comme Bois d'Arcy, un parloir spécial a été créé pour les enfants qui viennent accompagnés par le Relais enfants parents. Les conditions sont bien meilleures : la durée du parloir peut être plus longue, les locaux sont accueillants. C'est presque respectueux pour l'intimité familiale...

Pourquoi qualifiez-vous cette situation de paradoxale ?

Quand une famille va bien, on la met dans un placard, un peu comme si ce n'était pas la peine de s'en occuper ! Et quand il y a une situation difficile et que la famille ne vient pas, ne veut pas venir, ou ne peut pas venir, le service du Relais enfants parents intervient et dispose de locaux améliorés. C'est un comble !

(POLITIS)


* Jacques Lesage de La Haye exerce à l’établissement public de santé de Ville Evrard, il est chargé de cours à l’université de Paris VIII et formateur à L’école des parents et des éducateurs, un organisme qui intervient en milieu carcéral depuis 1986.


Enfants de prisonniers

Nolwenn Weiler

Chaque année, 140 000 enfants se retrouvent séparés d’un parent détenu. Ils n’ont commis aucun délit et sont pourtant frappés par la punition infligée à leur père ou leur mère. Des associations luttent pour maintenir le lien familial, indispensable à l’équilibre de l’enfant autant qu’à la réinsertion du détenu. Mais les conditions de visite demeurent traumatisantes, et l’exercice des droits parentaux, pourtant garanti par la loi, entravé. La révision de la loi pénitentiaire, pour le moment suspendue, prendra-t-elle en compte la détresse de ces familles brisées ?

 

Lena, 10 ans, Caroline, 8 ans, et Claire, 6 ans, sont fatiguées d’être sur la route. Étrange pour des filles de nomades... Il y a quelques années, leur père a été condamné à la prison à perpétuité. Peu après, leur mère a été mise en détention provisoire. Depuis, elles errent. De foyers en familles d’accueil. Et de Fresnes (où leur père est incarcéré) à Nantes (où elles rendent visite à leur mère). Ce jour-là justement, elles sont dans le train qui les emmène à Nantes.

Les maisons qu’elles dessinent pour passer le temps n’ont pas de portes et les fenêtres sont vraiment très hautes... Dans le parloir des familles, où elles retrouvent leur maman, les murs sont gris et les tables vétustes. On a posé là des feutres, quelques feuilles de papier et une poupée défraîchie. Elles offrent à leur mère des fleurs cueillies sur le chemin entre l’arrêt du bus et la prison, quand le gardien n’intercepte pas le bouquet. Pendant deux heures, elles discutent et jouent ensemble.

En sortant, Lena se met à pleurer. Elle n’en peut plus de venir voir cette mère en prison. Elle aimerait repartir avec elle. Caroline rabroue sa grande soeur et Claire ne sait plus trop si elle en veut à sa mère ou non. Le trajet du retour est pesant. Avec Marie, leur accompagnatrice, elles tentent de mettre des mots sur leur souffrance. Puis elles se taisent et se gavent des bonbons que leur mère a achetés en prison. Elles sont épuisées. Et le voyage n’est pas fini. En arrivant à la gare de Lyon, elles se glissent dans le taxi qui, deux heures plus tard, les déposera dans leurs familles d’accueil.

140 000 enfants se retrouvent chaque année séparés d’un parent détenu. Coupables ou victimes ? Ils n’ont commis aucun délit et pourtant quand on condamne un père, ou une mère, on condamne aussi des enfants. À une situation économique précaire pour commencer. L’incarcération touche en effet les franges les plus pauvres de la société. D’après une enquête du Credoc, réalisée en 2000, le taux d’accroissement de la pauvreté des familles de détenus peut atteindre 20 % ! À la perte du revenu de la personne incarcérée s’ajoutent les frais dus à la détention. Les détenus reçoivent en moyenne 1 200 F par mois, principalement de leur famille. Frais d’avocats et coût des visites viennent grignoter un peu plus le budget familial. Les restrictions portent en premier lieu sur les dépenses de santé et... sur les dépenses pour les enfants. Parfois, la détresse du parent en liberté est telle que, pour faire face à ces frais, il tombe, à son tour, dans la délinquance et se retrouve, lui aussi, en prison...

Regards pesants, rumeurs mauvaises. L’intolérance frappe l’entourage du prisonnier. Quand elle vire au harcèlement, c’est le déménagement forcé. Adieu les copains, perte des repères, nouvelle école : la vie quotidienne est à réinventer. Et quand les parents ne peuvent plus assumer ? Ce sont les grands-parents ou les oncles et tantes qui prennent la relève. Mais la famille ne peut pas toujours assurer cette prise en charge. Soit elle n’a pas les moyens, soit elle n’a pas envie, soit elle est jugée incompétente par les services sociaux qui s’occupent alors de placer l’enfant en foyer ou en famille d’accueil.

Silence, histoires inventées ou voyages imaginaires. Le départ soudain de la personne détenue est rarement expliqué. Les adultes choisissent souvent le mensonge comme mode d’explication : « Ta mère (ou ton père) est à l’hôpital ». Ces mots représentent, selon Alain Bouregba, psychologue et psychanalyste au REP (Relais enfants parents), « une redoutable agression dès lors que, aux yeux de l’enfant, savoir sa mère à l’hôpital pour longtemps et sans qu’on puisse lui préciser quand elle en sortira revient à lui suggérer qu’elle pourrait y mourir ». Agressifs, les mensonges sont de plus parfaitement inutiles. Marie-France Blanco, présidente du REP, est catégorique : « L’enfant n’est pas dupe longtemps. Il ne faut pas le sous-estimer. Quand on l’accompagne dans un endroit où il faut attendre dans une salle surveillée et qu’on dit à l’enfant qu’on va voir son père à l’hôpital... je ne pense pas qu’il nous prenne au sérieux », affirme-t-elle. Le danger est que, dans l’ignorance, l’imagination de l’enfant vagabonde. Il fantasme sur les conditions de détention de ses parents ou sur la maladie imaginaire qu’on leur a prêtée. Et il se sent abandonné. Dans sa tête, s’attacher signifie désormais pouvoir perdre. Il évite donc tout lien affectif, il devient très solitaire. Et il en veut aux grands, au monde, à la société. Il n’a plus confiance. Le risque est grand de voir cet enfant prendre un jour lui aussi le chemin de la délinquance.

La « détention héréditaire » n’est pas un mythe : 30 % des enfants de détenus vont un jour en prison. Que faire pour rompre cette spirale infernale ? « Maintenir le lien entre un détenu et son enfant n’est pas la seule solution, mais c’en est une », estime Marie-France Blanco. La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990, reconnaît ce lien comme fondamental. Pourtant, pour les fils et filles de détenu(e)s, l’entretien d’une relation avec leur parent emprisonné ressemble souvent à un vrai parcours d’obstacles. Les membres de la famille sont parfois les premiers à rejeter toute relation entre l’enfant et le parent détenu. On évite, « pour son bien », que l’enfant continue à voir le prisonnier. Le parent incarcéré, accablé de honte et de culpabilité, peut lui aussi s’opposer aux visites de son enfant. Il existe enfin certains juges d’instruction qui déclarent arbitrairement que l’enfant n’ira pas en prison parce que « ce n’est pas bon pour lui », et qui refusent de délivrer des permis de visite.

Pourtant, en brisant cette relation, « on risque de tuer quelque chose qu’il sera très difficile de réinstaurer après », estime Évelyne Lautissier, ancienne directrice de la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis. « Le temps passant, l’enfant change, le parent change et les retrouvailles sont difficiles », ajoute t-elle. L’enfant a pris l’habitude d’être encadré par d’autres adultes, le parent libéré perd de sa légitimité. Celui-ci se retrouve doublement exclu : par la société et par ses enfants. Difficile, dans ces conditions, de reprendre confiance et d’entamer une réinsertion.

En avril 2001, le Parlement des enfants a fait une proposition de loi visant à améliorer les conditions de rencontre entre les parents incarcérés et leurs enfants. Leur proposition aurait donc dû être prise en compte. Mais la révision de la loi pénitentiaire, qui devait être débattue à l’Assemblée nationale, est suspendue - l’agenda ministériel et législatif est surchargé. En attendant que le prochain gouvernement se penche, peut-être, sur le dossier, que vont devenir les fils et filles de détenus ?

(POLITIS)


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