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LE SENS ACTUEL DE LA PEINE :

un détenu peut-il changer ?

Par Philippe AUZENET

Concepteur et Webmestre du site "PRISONS"

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On peut inviter Philippe Auzenet à donner son témoignage d'incarcération, ou une conférence sur différents thèmes dont "le sens de la peine", en le contactant personnellement :

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Justice et pénitentiaire : pas de travail en profondeur

                     La justice se doit de prévenir, avertir, juger, punir, mettre à l’écart les personnes dangereuses. Protéger la société. Provoquer des réparations.

                    Mais - et c'est à l'heure actuelle l'un de ses gros points faibles - elle doit aussi faire un travail en profondeur pour comprendre et traiter la personnalité, les problèmes de ceux et celles qui – citoyens à part entière donc respectables – ont fauté. Beaucoup ont été victimes (dans l’enfance), et par ricochet et mimétisme, ont ensuite fait des victimes. Il est bien de les corriger, mais lorsque cette correction aboutit à 75 % de récidive (pour les courtes et moyennes peines), on est en droit de se poser la question : si la justice rend globalement pire ceux qu’elle corrige, sa mission n’a t-elle pas échoué ? Corriger (voir définition du dictionnaire), c’est « rendre meilleur ».

                    Il faut (en urgence) deux à trois fois plus de travailleurs sociaux pour s’occuper des détenus et des personnes sous contrôle de la justice en milieu ouvert : ceux-ci, en nombre insuffisant, n’ont que le temps de traiter les dossiers et non de s’occuper réellement des personnes.

                    Il faut des éducateurs qui circulent en permanence à certaines heures, dans les étages des prisons, pour écouter, aider, et travailler à l'équilibre et l’insertion des détenus. Les surveillants n’en ont ni le temps ni - pour la plupart - la vocation, et sont en sous-nombre.

                    Il faut un réel désir de changer et rendre meilleur les détenus, alors qu’à l’heure actuelle on se contente souvent de les « parquer » et de les laisser livrés à eux-mêmes. Ils le ressentent confusément, cela empêche leur remise en question et leur amendement.

                    Dans la pratique, c’est la loi de la promiscuité et du plus fort (le caïd) qui forme les détenus à devenir pires. Ils se rendent pires les uns par les autres, car on ne s’occupe pas réellement profondément d’eux avec dignité et sérieux.  

 

Quelle réforme ?

                    Une réforme s’impose, pas d’abord à coup de milliards ni à coup de prisons supplémentaires, mais grâce à un volonté tenace : vouloir se donner les moyens de traiter les problèmes à la base, donc former des personnels dont le souci sera le travail sur les racines des problèmes des détenus. Penser que tout être est récupérable (sauf rare exception), qu’il est capable du meilleur comme du pire. Il faut travailler sur le potentiel du détenu, il est capable de devenir meilleur et de ne plus fauter si on lui fait comprendre qu’il a du prix, et qu’il peut changer (actuellement c’est le message inverse que la justice et la pénitentiaire font passer quotidiennement à ceux qu’elle traite : elle a tendance à leur laisser croire qu’elle les « élimine »).

                    Le message principal véhiculé globalement par la justice et la pénitentiaire, de nos jours, est encore : « Tais-toi ; tu n’es bon à rien ; je te mets entre quatre murs et fiche-nous la paix ; si tu deviens pire, on te punira à nouveau, et davantage ». Une majorité de détenus sent bien cet état d’esprit et se fait un devoir de récidiver pour faire un pied de nez à une telle institution qui n’a pas été capable de discerner que le meilleur se cache aussi en eux.

                    On récolte souvent ce qu’on a semé.

                    Les détenus doivent changer : mais ils ne le pourront que si la justice leur fait passer un autre message et adopte un autre comportement ; que si elle les punit en se donnant et en leur donnant les moyens de les rendre réellement meilleurs.

 

Le sens actuel de la peine : 

aucunement tourné vers l'amendement du détenu

 

                    Lorsque la loi a été enfreinte et que l’affaire est portée devant la justice, il est normal que l’on soit jugé et puni.

 

Dans la pratique, le sens actuel de la mise en application d’une peine est de :

 

  • RETABLIR LA JUSTICE (en montrant que la loi a été enfreinte et en le dénonçant)

  • PUNIR[1] (par un châtiment infligé en vue de la réparation d’une faute, avec une notion d’expiation[2] ; la privation de liberté étant la punition la plus utilisée, et la durée de la peine étant proportionnelle à la gravité de la faute)

  • RESTITUER, REPARER (par des mesures d’aide, de réparation, de restitution aux victimes)

  • PROTEGER LA SOCIETE (par une mise à l’écart, pour préserver l’ordre public)

  • PREVENIR LA RECIDIVE (en permettant et en favorisant le changement)

  • REINSERER (en préparant la sortie)

 

 

Le Code de Procédure Pénale prévoit que l’emprisonnement a pour objet de :  

*         favoriser l’amendement[3]

*         préparer le reclassement social  

en assurant le respect de la dignité à la personne humaine, et en facilitant son intégration dans la société. (art. D 189 du C.P.P.)

 

Les surveillants ont deux missions : la garde et la réinsertion des détenus.

   

Que se passe-t-il en réalité ?

 

                    Je désire décrire la réalité des choses, après quatorze années de travail au sein d’une équipe d’intervenants en maison d’arrêt, et quinze mois en tant que détenu, (d’une maison d’arrêt et d’un centre de détention). La vérité est qu’il y a du bon, mais qu’hélas, il y a du très mauvais. Les deux se côtoient. Les chiffres de la récidive démontrent qu’il y a plus de mauvais que de bon. Et que le mauvais triomphe du bon. La pénitentiaire est la seule grande « entreprise » française qui n’est pas tenue à un résultat…  

 

 

Travail d'escargot

 

Le travail de la justice s’opère d’une manière trop lente, assez coûteuse, froide, peu communicative, et d’une manière inégale selon les tribunaux. Il y a 6600 juges en France, qui traitent en moyenne 130 dossiers chacun, en permanence. Ils n’ont pas les moyens de rendre la justice comme ils le voudraient. La société en pâtit, mais aussi les victimes et les accusés, et leurs familles.  

 

 

L'accusé ne comprend pas la peine

 

L’accusé ne comprend pas le rôle de la punition qu’on lui inflige, car en général on ne lui explique rien, si ce n’est ce qui correspond à : « tu as fauté, tu n’aurais pas dû, alors on t’enferme ». Personne n’a réellement dialogué profondément avec moi, avant, pendant et après ma détention pour aborder profondément les problèmes qui m’ont conduit là, et s’assurer que je comprenais bien le sens du parcours des quatre années que l’on m’a fait emprunter : deux années et demi de contrôle judiciaire avec interdiction de sortir du département, puis quinze mois d’incarcération.  

 

 

La punition, sans travail d'accompagnement, génère l'endurcissement et la récidive

 

La punition elle-même (qui dans la plupart des cas consiste en une incarcération), devrait certes avoir une fonction première de châtiment, mais d’une manière indispensable et complémentaire, aussi une fonction d’éducation ou de rééducation, de correction, dans le but de rendre meilleur[4]… et d’insérer ou de réinsérer dans la société. Il en est tout autre : la punition produit dans la plupart des cas :  

 

*         le sentiment d’être haï profondément à cause de ses fautes, et que la justice et la société ne pardonneront jamais  

*         le sentiment d’être abandonné et éliminé à cause de ses fautes : il y a confusion entre la relation avec celui qui a fauté, et la relation avec son comportement –lequel comportement peut être aussi un accident passager, et s’il ne l’est pas, a souvent des racines dans le passé éducatif de la personne-. On devrait pouvoir séparer l’être des fautes qu’il a commises : ses actes sont méprisables, mais l’être est respectable et digne d’être aimé. Il peut se réformer si on lui en donne les moyens, et si on le place réellement en situation de changer. Il est digne de respect et d’écoute.  

*         le sentiment d’être incompris : la solitude et l’abandon dans lesquels on laisse le détenu génèrent l’incompréhension et la révolte (« tu as fauté, alors on te coupe de la société, et reste maintenant seul entre tes quatre murs »). Cette révolte restera souvent définitive.  

*         le sentiment de ne plus faire partie de la société, mais d’être une race à part, celle des exclus et des irrécupérables, celle des déchets tout justes bons à mettre à la poubelle. Sentiment d’être du bétail que l’on parque dans des boxes.  

*         une déstructuration de la personnalité (volonté – affectivité et émotions – intellect – sans oublier les problèmes dans la sexualité, le sommeil, la nourriture, et les problèmes médicaux)  

*         une dépersonnalisation à haute dose (on est réduit à l’état de larve qui se soumet journellement au même programme durant des années, sans possibilité réelle de prendre des initiatives et de transformer positivement sa personnalité)  

*         une formation active au vice et à la récidive à cause de la promiscuité imposée au détenu 24 h sur 24 : qui accepterait que son enfant passe par là ?  

*         un état constant d’amertume, de découragement, et ce qui est plus grave, l’anesthésie du moi réel, berceau de la récidive.  

*         une impossibilité de changement réel et durable, car qui pourrait réellement effectuer un travail de réflexion sur lui-même dans un tel programme constant de déstructuration et de dépersonnalisation, et dans une telle promiscuité néfaste ? La prison est une fournaise de souffrances. Elle humilie, elle broie et ne relève pas.  

*         la cassure de la cellule familiale : époux séparés, enfants séparés (la punition, par ricochet, de la famille, est profondément injuste et suscite de nouvelles victimes au système, qui n’auront jamais droit à une réparation)  

*         une perte des repères réels avec la vie extérieure: que penser des détenus qui sortiront avec l’euro, alors qu’ils ne s’en seront jamais servi ?  

*         une coupure avec le monde du travail, un blanc difficile à cacher dans un CV, assorti d’un casier judiciaire chargé qui demeurera un handicap menaçant pour l’avenir.  

*         une coupure avec les amis, relations, avec la vie de citoyen à part entière dans la cité  

*         un massacre définitif de la réputation et de l’honneur, à cause des articles de presse, et des rumeurs, dont les juges pensent qu’ils font partie de la punition : cependant cette même justice ne répare pas ses torts lorsqu’elle reconnaît s’être trompée dans les charges contre quelqu’un. Elle ne suscite pas les articles de presse qui blanchiront l’accusé lors d’un non-lieu. C'est une grave atteinte à la dignité humaine et une injustice.

 

 

 

La règle n° 64 des « règles européennes » de 1987 précise :

« L’emprisonnement, de par la privation de liberté, est une punition en tant que telle. On ne doit donc pas aggraver la souffrance ainsi causée. »

Cette règle est abondamment violée par la pénitentiaire elle-même.

 

 

On se débarrasse de toi...

 

Tout se passe comme si la société, pour rétablir l’ordre et la justice, se débarrassait momentanément de ceux et celles qui ont fauté, en leur infligeant la punition de devoir devenir pires, et en les cachant. Comme si l’être humain qui a fauté n’était pas capable aussi du meilleur. Comme si le meilleur n’existait pas en lui. Comme si la justice et la pénitentiaire ne croyaient pas vraiment dans l’homme et dans sa capacité de changement. Rien de ceci n’est réellement flagrant lorsqu’on visite une prison ou qu’on y intervient de temps à autre. On pourrait même croire que le sort des détenus, avec TV, sport et loisirs, est bon. Mais attention, il y a l’envers du décor ! C’est seulement en tant que détenu que personnellement j’ai pu ouvrir les yeux, et me rendre compte que le système actuel de la prison est néfaste à la plupart de leurs utilisateurs et dans un certain sens, à la société.  

 

 

Pas de faculté d'encourager et de relever

 

Ce qui manque le plus au système judiciaire et pénitentiaire actuel, c’est la faculté d’encourager et de relever celui qui est tombé. Le rôle reconstructeur est bafoué, au profit de l’humiliation et de l’élimination. La mission humanitaire est trop peu existante, ou alors revêt le rôle d'un apparat. Les travailleurs sociaux en nombre totalement insuffisant ne peuvent traiter que des dossiers et non des individus. On donne au détenu la honte d’exister. On se débarrasse de lui en cassant sa personnalité d’une manière souvent définitive, on suscite la récidive. On ne le réinsère pas dans la société (si tant est que l’individu ait été une fois inséré dans sa vie).

 

La prison cache les problèmes pendant un temps, mais ne les résout pas. Elle n’accompagne pas réellement le détenu vers un changement, mais plutôt vers une cristallisation et même une régression : c'est la destruction progressive de tous les acquis antérieurs. La prison, c’est un désert aride qui fait tout perdre.  

 

 

Réformer l'état d'esprit de l'institution

 

La justice et la pénitentiaire devraient faire un travail en profondeur pour traiter la personnalité et les problèmes de ceux et celles qui – citoyens à part entière donc respectables – ont fauté.

 

Il faut avant tout une réforme de l’état d’esprit dans lequel on juge et on incarcère. Multiplier en urgence le nombre des travailleurs sociaux et de vrais éducateurs (x3 !). Prendre les moyens non seulement financiers mais humains, de s’occuper des plus faibles. Les plus faibles, qui avant d’être incarcérés, sont pourtant parmi nous…

 

Il faut privilégier les autres moyens punitifs en faisant de l’incarcération une exception. La grande majorité des personnes que j’y ai croisé devrait être placée dans d’autres structures plus ouvertes, dont le but serait un vrai accompagnement.

 

 

 

« Dis-moi comment sont tes prisons, je te dirai qui tu es ».

   Philippe Auzenet

Ancien Aumônier Protestant de la Maison d'Arrêt de Laval (Mayenne)


O u v e r t u r e  (texte de 1820)

"Si nous jetons les yeux en général sur la situation des prisons du royaume, (...) l'état d'abjection, d'avilissement dans lequel l'avidité subalterne s'est plu à réduire le détenu afin d'énerver ses forces et de le dévaliser tout à son aise, est la première de toutes les raisons qui s'opposeraient à son amendement... On cherche à le convaincre à chaque instant du jour, qu'il a perdu sans retour l'estime publique, et que la pitié seule a pu faire naître l'idée de lui laisser la vie. On lui suggère surtout la pensée qu'il n'est plus fait pour inspirer aucune confiance dans le monde, et on tient une conduite propre à l'en persuader, puisque chacune de ses réclamations est ordinairement suivie, malgré la justice, d'une nouvelle mesure qui rend son sort plus déplorable. On le décourage donc entièrement et on ferme son cœur à l'accès du repentir. Si ce sentiment venait en effet s'y présenter, il serait bientôt repoussé par l'idée désolante que la société ne lui en tiendra plus aucun compte ; et certes quand il reste à l'homme ordinaire d'autres perspectives que celle de sa propre satisfaction à côté du mépris général, il n'a plus de forces pour persévérer dans de bonnes résolutions."

Jules-Antoine de BESAUCELE - Embrun, 1820


 

CINQ MESURES URGENTES pour éviter l'inefficacité des prisons actuelles


  • Première mesure urgente à prendre, concernant les prisons actuelles : DOUBLER OU TRIPLER LE NOMBRE DE TRAVAILLEURS SOCIAUX affectés aux SPIP. Ils sont en sous-nombre et n'ont plus le temps de s'occuper des personnes détenues : ils ne traitent que de la paperasserie et des dossiers, le disent et en souffrent (ils ne sont pas écoutés).
  • Deuxième mesure urgente : établir le système du "numerus clausus", et ne pas incarcérer plus de personnes que le nombre de places dans chaque établissement, afin d'éviter la surpopulation des prisons, source de tensions insupportables pour les détenus et les surveillants, et source d'inhumanité : on frôle la torture.
  • Troisième mesure urgente : distribuer en nombre important des peines de substitution, qui auront une effet punitif MAIS restructurant en même temps. Se donner les moyens humains et financiers de les faire appliquer. Ne réserver la prison qu'aux personnes très dangereuses pour la société. Ne pas incarcérer les personnes psychopathes, mais les placer dans des établissements spécialisés. Ne pas incarcérer les sans-papiers, les petits trafiquants ou (et) consommateurs de drogue, les petits voleurs : les punir différemment.
  • Quatrième mesure urgente : mieux former les surveillants à la prise en charge psychologique, et à l'empathie, en leur donnant un bagage d'éducateur et non de "porte-clefs". Leur formation est trop courte et insuffisante.
  • Cinquième mesure urgente : réfléchir au problème de la récidive, et au sens de la peine ;  appliquer de nouvelles mesures concrètes, destinées à réformer l'état d'esprit froid, distant, non-communicatif, non-éducatif, des personnels judiciaires et pénitentiaires, qui dans beaucoup de cas ferment l'accès psychologique à un changement dans la vie de la personne accusée, mise en examen ou détention provisoire, punie puis détenue par la société.

Les prisons actuelles sont surchargées, inefficaces, prêtes à exploser si la surpopulation grandit encore. N'attendons pas des événements imprévisibles, destructeurs, et impossibles à gérer : agissons !

                                                            © Le Site "PRISONS" 

 

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[1] Punition : châtiment infligé à cause d’une faute

[2] Expiation : fait de subir un châtiment, une peine qui en constituent une réparation morale, une contrepartie

[3] Amender : rendre meilleur

[4] corriger signifie : faire disparaître les défauts, les erreurs, améliorer, rectifier, revoir pour rendre correct, pour rendre meilleur