L'Insee a réalisé, avec le concours de l'Administration pénitentiaire, une enquête sur l'histoire familiale d'un échantillon de 1 700 détenus menée dans le cadre du recensement de la population. Cette enquête concerne les hommes adultes incarcérés en centre de détention ou maison d'arrêt.
L'enquête " Patrimoine 1998 " réalisée par l'Insee d'octobre 1997 à janvier 1998 contient, pour l'ensemble des hommes vivant en France, des informations comparables à celle de l'enquête, et peut donc servir de point de comparaison.La plupart des indicateurs socio-démographiques (profession, âge de fin d'études, pays de naissance) indiquent une sur-représentation des catégories sociales les plus démunies en prison. Résultats encore plus marquants: un quart des détenus interrogés a quitté l'école avant d'avoir 16 ans, trois quarts avant 18 ans, 15 % sont partis du domicile familial avant 15 ans, la moitié avant 19 ans. Trois quarts des détenus sont issus d'une famille de quatre enfants ou davantage.
L'incarcération est dans 11 % des cas l'occasion d'une rupture du couple, mais elle succède fréquemment à une rupture conjugale : moins de la moitié des détenus déclarent vivre en couple, un quart ont connu une rupture conjugale.
La prison: un risque plus fort pour les classes populaires
Annie Kensey, Francine Cassan et Laurent Toulemon
La lutte contre la pauvreté et les inégalités dans les établissements pénitentiaires ne peut se développer sans une connaissance plus sûre des difficultés des personnes détenues. Il est souvent énoncé qu'une grande partie des détenus cumulent un faible capital scolaire, une absence de pratique ou de formation professionnelle, un déficit culturel, un isolement familial et social. Ces remarques ne s'appuient pas toujours sur des enquêtes quantitatives rigoureuses. C'est la raison pour laquelle la réalisation de l'Enquête Nationale Famille en prison est à souligner. Afin de ne pas alourdir l'enquête, le questionnaire destiné à la population détenue est sensiblement identique à celui de la population générale. On remarquera que certaines données importantes sont manquantes notamment le motif d'incarcération. Cela ne remet pas en cause la valeur de ce premier travail. En effet, il était important d'observer les écarts et les différences de parcours qui marquent les détenus par rapport à la population générale.
Bien que l'on observe un vieillissement de la population détenue au cours des vingt dernières années, elle reste une population jeune comparée à la population générale. Plus d'un détenu sur dix a moins de 21 ans, près de la moitié n'a pas trente ans (28 % dans la population générale).
Des hommes jeunes à faible capital scolaireLa scolarité
Peu d'hommes emprisonnés ont terminé leurs études avant seize ans, en raison des contraintes légales de scolarité obligatoire mais, à âge et autres caractéristiques égales, la probabilité d'être incarcéré diminue avec la longueur des études poursuivies : elle est dix fois plus faible pour les hommes ayant terminé leurs études après 25 ans que pour ceux qui les ont interrompues avant 18 ans.Parmi les hommes incarcérés de moins de trente ans, la moitié a fini ses études avant 18 ans, soit trois ans plus tôt que pour la population générale.
La profession
L'étude de la profession laisse apparaître de forts contrastes : les professions intermédiaires et les cadres supérieurs sont nettement moins représentés en prison, au contraire les ouvriers et les artisans et commerçants le sont plus. Les agriculteurs sont très peu nombreux en prison : 1 % contre près de 5 % ; à âge égal, leur risque d'être incarcéré, proche de celui des cadres supérieurs est six fois plus faible que pour les artisans.
Des hommes issus des familles nombreuses d'ouvriers ou d'artisans
La taille de la fratrie
La taille de la fratrie apparaît une variable déterminante. Les personnes issues de familles nombreuses sont très fortement représentées parmi les hommes incarcérés. Plus de la moitié des détenus ont 4 frères ou sœurs ou davantage contre moins de 1 sur 3 pour l'ensemble des hommes. 1 sur 20 est issu d'une famille de plus de 10 enfants. Évidemment les variables ne sont pas indépendantes. À âge, âge de fin d'études, lieu de naissance et profession égaux, les hommes issus d'une famille de 5 ou 6 enfants sont 2,5 fois plus souvent en prison que ceux qui n'ont qu'un frère ou une sœur. Avec plus de 10 frères ou sœurs, le risque est multiplié par 8. D'autres variables sont à l'œuvre, et l'on sait notamment que les grandes fratries sont aujourd'hui caractéristiques des milieux défavorisés. La comparaison avec l'enquête famille générale à venir nous permettra de mieux cerner les relations entre variables.
L'origine géographique
Les hommes nés à l'étranger sont deux fois plus nombreux en prison que dans l'ensemble de la population : 24 % contre 12 %. Précisons d'emblée que ces données sont difficilement comparables : parmi les détenus sont comptabilisés notamment les personnes en situation irrégulière et les touristes, qui ne figurent pas dans la population générale. On constate que ce sont d'abord les hommes nés en Europe orientale (Roumanie, ancienne Yougoslavie) qui sont soumis à un risque fort (3,3 contre 1, à âge égal, pour les hommes nés en France) : le séjour irrégulier en France est en effet un motif important d'incarcération, pour des populations récemment immigrées. Viennent ensuite les hommes nés dans les pays du Maghreb (risque de 3) puis d'autres immigrés récents, issus de nombreux pays d'Afrique au sud du Sahara (risque de 2,7), et les ressortissants de l'Union européenne (1,4).
L'origine sociale
Les informations sur les professions et lieux de naissance des parents confirment la sur-représentation des classes à bas revenu : 47 % des pères, et 31 % des mères, sont ouvriers. Les mères employées sont le plus souvent " femmes de ménage " ou employées dans les services directs aux particuliers (hôtellerie, coiffure). Plus de la moitié (54 %) des mères sont inactives. On retrouve également l'opposition entre artisans et agriculteurs, les premiers étant nombreux parmi les pères de détenus, à l'inverse des seconds. Près de quatre détenus sur dix ont un père né à l'étranger, un quart dans un pays du Maghreb. La structure professionnelle des détenus semble moins favorable que celle de leurs pères : 43 % sont ouvriers, pour 38 % de fils d'ouvriers. Enfin, on remarque une présence notable du patois régional ou local : dans 5 % des cas c'est la première langue du père et dans plus de 6 % pour la mère.
Un réseau familial fragile
Départ du domicile précoce
La relation des détenus et de leurs parents semble fragile : à une mobilité sociale plutôt descendante s'ajoutent des départs précoces du domicile : 15 % des détenus sont partis avant 15 ans, la moitié avant 19 ans (soit trois ans avant l'ensemble des hommes), 80 % avant 21 ans.
Les ruptures d'union
Moins de la moitié des détenus déclarent vivre en couple, 27 % n'ont jamais vécu en union, et autant vivent seuls après une rupture (tableau). Avant 25 ans, moins de la moitié ont vécu en couple, mais la proportion de ceux qui ont déjà vécu en couple est supérieure à l'ensemble des jeunes : 51 % des 21-24 ans ont déjà vécu en couple, contre moins d'un tiers pour l'ensemble des hommes du même âge.Partis tôt de chez leurs parents et ayant commencé à travailler précocement, les jeunes détenus ont plus souvent une histoire conjugale.
Parmi les détenus de plus de 30 ans, c'est l'inverse : les hommes détenus sont plus nombreux que l'ensemble des hommes à n'avoir jamais vécu en couple. Parmi les détenus, la proportion de ceux qui vivent seuls après une rupture est très importante : 26 %, contre 11 % de l'ensemble des hommes âgés de 20 à 49 ans.
L'incarcération est parfois l'occasion d'une rupture du couple mais elle suit également fréquemment une rupture conjugale : moins de la moitié des détenus déclarent vivre en couple.
Parmi les détenus ayant vécu en couple, 63 % le sont encore au moment de l'enquête. Pour les autres, la rupture a eu lieu le plus souvent avant l'incarcération. Le risque de rupture est très important au moment de l'incarcération : 11 % des détenus qui avaient un conjoint au moment de l'incarcération déclarent que leur union s'est terminée durant le même mois. Le risque de rupture diminue ensuite : en l'absence de libération, 20 % des unions sont rompues dans les douze premiers mois, 25 % dans les deux ans et 36 % dans les cinq ans. Les couples sont également plus fragiles dans les mois qui précèdent l'incarcération, sans que l'on puisse dire dans quelle mesure les ruptures d'union poussent à des comportements délictueux et dans quelle mesure ce sont les comportements délictueux eux-mêmes qui sont à l'origine à la fois de la rupture et de l'incarcération.
Les enfants et les conjointes
De même, les détenus ont pratiquement autant d'enfants que l'ensemble des hommes, et ils déclarent de nombreux beaux-fils et belles-filles mais, compte tenu des nombreuses ruptures d'unions, les relations avec leur conjointe, leurs propres enfants ou les enfants de leur conjointe sont souvent interrompues.La relation des détenus avec leurs enfants risque d'être également précaire : 17 % des enfants mineurs ne vivent pas avec leur mère, 28 % parmi ceux âgés de 15 à moins de 18 ans.
Parmi les conjointes des détenus, moins de 50 % ont un emploi, 12 % sont chômeuses et 41 % ne travaillent pas. Les emplois déclarés par les détenus pour leurs conjointes sont souvent imprécis (employée à…, aide…). Les situations professionnelles des conjointes traduisent la même appartenance sociale que les
détenus : inactivité fréquente, emplois d'usine et de services directs aux particuliers (femmes de ménage, restauration, hôtellerie et bars, coiffure...).
En prison, les inégalités relationnelles, sociales et culturelles demeurent
Ces éléments sont importants aussi pour orienter encore plus les actions déjà entreprises par l'administration pénitentiaire pour lutter contre l'indigence. En prison, les inégalités relationnelles, sociales et culturelles demeurent. Elles interagissent avec l'exécution de la peine, dans le sens où certaines mesures et notamment l'aménagement des peines sont plus rapidement accessibles aux détenus qui disposent d'appuis extérieurs et de savoir-faire. De la même façon, l'enquête montre que le type de formation suivie, à la date de l'enquête, varie beaucoup selon les détenus. Les formations qualifiantes sont surtout suivies par les détenus incarcérés depuis plus d'un an, âgés de 35 à 50 ans, cadres ou intermédiaires, ayant fait des études longues, nés en France. Il en va de même, dans une moindre mesure, pour les initiations techniques. À l'inverse, les formations élémentaires sont adaptées aux détenus les moins bien dotés scolairement, incarcérés depuis 6 à 12 mois, très jeunes ou âgés de plus de cinquante ans, nés dans l'Union européenne ou au Maghreb.
" L'Insee première " numéro 706, avril 2000.
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