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L'ENCELLULEMENT INDIVIDUEL

 

Dès 1875, une loi a posé le principe de l’emprisonnement individuel dans les établissements pénitentiaires sans que celui-ci soit jamais respecté. Les textes actuels reflètent cette incapacité chronique et posent toujours le principe de l’emprisonnement individuel tout en l’assortissant de toutes sortes de dérogations qui vident le principe de sa portée.

Ainsi, l’article 716 du code de procédure pénale prévoit que " les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit ". Mais le même article dispose aussitôt : " il ne peut être dérogé à ce principe qu’à raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ou, si les intéressés ont demandé à travailler, en raison des nécessités d’organisation du travail ".

Les articles réglementaires du même code explicitent ce divorce entre principe et réalité. L’emprisonnement individuel des prévenus " Art. D. 84.- Dans les maisons d’arrêt cellulaires, ou dans les quartiers cellulaires de ces établissements, il ne peut être dérogé à la règle de l’emprisonnement individuel qu’à titre temporaire, en raison de leur encombrement ou, pendant la journée, en raison des nécessités de l’organisation du travail.

" Le chef de l’établissement peut cependant décider, sur avis médical motivé, de suspendre l’emprisonnement individuel d’un détenu, notamment pour des motifs d’ordre psychologique, à charge d’en rendre compte au directeur régional et, selon qu’il s’agit d’un prévenu ou d’un condamné, au magistrat saisi du dossier de l’information ou au juge de l’application des peines.

" Art. D. 85.- Au cas où le nombre de cellules ne serait pas suffisant pour que chaque détenu puisse en occuper une individuellement, le chef de l’établissement désigne les détenus qui peuvent être placés ensemble dans le quartier en commun ou dans les locaux de désencombrement s’il en existe, et, à défaut, dans les cellules.

" Les détenus ainsi désignés ne doivent comprendre, ni les prévenus à l’égard desquels l’autorité judiciaire aura prescrit l’interdiction de communiquer ou la mise à l’isolement, ni les détenus âgés de moins de vingt ans, non plus, dans la mesure du possible, que les prévenus et les condamnés n’ayant pas subi antérieurement une peine privative de liberté.

" Art. D. 89.- Indépendamment des détenus qui doivent être isolés de leurs codétenus pour des raisons disciplinaires ou par mesure de précaution ou de sécurité, ou sur prescription médicale, et des prévenus qui font l’objet de l’une des mesures visées à l’article D. 56, il importe que soient séparés, chaque fois que cela est possible, les détenus âgés de moins de vingt et un ans, quelle que soit leur situation.

" Art. D. 90.- Pour les détenus dont l’isolement n’est pas assuré dans les conditions prévues à l’article D. 89, les catégories suivantes doivent être séparées :

1° Les condamnés ;

2° Les détenus soumis à la contrainte par corps ;

3° Les prévenus conformément aux dispositions de l’article D. 59.

Doivent être distingués au surplus, à l’intérieur de chacune de ces catégories, d’une part les détenus n’ayant pas subi antérieurement une peine privative de liberté, et d’autre part ceux qui ont déjà encouru de nombreuses condamnations. "

" Dans la mesure du possible ", " chaque fois que cela est possible "... De telles expressions dans des textes normatifs montrent que le principe de l’encellulement individuel n’est aujourd’hui qu’une chimère.

Singulièrement, le principe de l’encellulement individuel est prévu dans les textes à peu près dans les mêmes termes pour les prévenus et les condamnés, sans toutefois être appliqué de la même manière.

L’article 716 du code de procédure pénale pose, comme on l’a vu, le principe de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit des prévenus tout en l’assortissant d’exceptions liées à la distribution des maisons d’arrêt et à l’organisation du travail.

En ce qui concerne les condamnés, l’article 719 du code de procédure pénale prévoit que " les condamnés sont soumis, dans les maisons d’arrêt, à l’emprisonnement individuel de jour et de nuit, et dans les établissements pour peines, à l’isolement de nuit seulement, après avoir subi éventuellement une période d’observation en cellule. Il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des locaux de détention ou de leur encombrement ou des nécessités d’organisation du travail. ".

Curieusement, l’encellulement individuel semble être assuré de manière très générale dans les établissements pour peines alors que les prescriptions légales sont les mêmes pour ces établissements et pour les maisons d’arrêt. On pourrait donc s’interroger pour savoir si un choix philosophique aurait été fait, consistant à privilégier à tout prix la réinsertion des condamnés.

En fait, l’explication de cette différence de régime est plus pragmatique. Tout d’abord, les établissements faisant l’objet d’une gestion déléguée ne peuvent accueillir qu’un nombre limité de détenus. Au-delà d’un seuil d’occupation de 120 %, l’administration pénitentiaire est tenue de verser des indemnités à l’entreprise gestionnaire, ce qui est extrêmement dissuasif.

Dans ces conditions, parmi les maisons d’arrêt elles-mêmes, certaines sont tout à fait privilégiées par rapport aux autres. En ce qui concerne la maison d’arrêt de Nanterre, qui fait l’objet d’une gestion déléguée, le surcoût pour l’administration pénitentiaire varie de + 15 % lorsque le taux d’occupation dépasse 120 % à + 54 % s’il est supérieur à 180 %.

L’autre raison de la situation privilégiée des établissements pour peines est plus pratique encore. Elle a été évoquée par M. Jean-Pierre Dintilhac, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, devant la commission d’enquête, ce dernier observant que le numerus clausus " existe depuis la nuit des temps pénitentiaires dans les établissements pour peine. Pourquoi ? Les conditions de détention et la durée font que la population pénale y est beaucoup plus difficile et qu’elle change moins. Il faut y préserver des conditions de détention correctes alors que, dans les maisons d’arrêt, le turn-over permet de supporter des conditions de détention beaucoup plus difficiles sans explosion (...). C’est une réalité pénitentiaire, car si l’on dépasse les normes dans les maisons centrales en mettant deux ou trois détenus par cellule, malgré un escadron de CRS, on ne tiendra pas longtemps l’établissement ".

Au fond, ce sont des rapports de force qui expliquent que les taux d’occupation sont bien souvent de 80 ou 90 %, voire moins, dans les établissements pour peines alors qu’ils peuvent atteindre 200 % dans les maisons d’arrêt. Parce que les entrées et les sorties sont extrêmement nombreuses dans les maisons d’arrêt, des explosions sont moins à redouter et les prévenus deviennent la variable d’ajustement du système carcéral français.


Source : Assemblée nationale. http://www.senat.fr

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